La frontière entre le marché et l’Etat, l’apport de R.H.Coase Sébastien...

La frontière entre le marché et l’Etat, l’apport de R.H.Coase Sébastien...



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La frontière entre le marché et l’Etat, l’apport de R.H.Coase




Sébastien Rouillon




Juin 2002




Université de Bordeaux 4


GRAPE-CEEP


Avenue L. Duguit


33 608 Pessac cedex


+033 (0)5 56 84 25 85


rouillon@u-bordeaux4.fr






Résumé :


Coase a montré que, pour maximiser la valeur produite, chaque transaction devait être confiée à
l’organisation qui la traite de la façon la moins coûteuse. Cet article applique cette recommandation à
l’arbitrage entre le marché et l’Etat. Notre questionnement porte sur sa portée pratique, en privilégiant
deux axes : d’une part, l’information nécessaire à sa mise en œuvre ; d’autre part, la rationalité des
organisations et leur volonté de la suivre.


Les résultats obtenus sont les suivants.


La décentralisation de la recommandation de Coase nécessite une bonne information de tous les
participants. Dans un monde où l’information est dispersée, une communication préalable est donc
nécessaire ; sans cela, il faut se contenter d’une affectation imparfaite des transactions entre le marché
et l’Etat. Une question se pose alors : faut-il organiser la collecte et la diffusion systématique de cette
information dispersée, sachant que cela est coûteux, ou bien se contenter d’une coordination spontanée
imparfaite ? La réponse est empirique. Néanmoins, quelques voies alternatives existent et sont décrites
ici. Notamment, la construction d’une typologie fine des transactions (plus fouillée que celle utilisée
en économie du bien-être) et la recension (sur une base empirique et/ou théorique) des performances
moyennes des organisations pour chaque type permettrait à moindre coût d’améliorer la coordination
spontanée.


La décentralisation de la recommandation de Coase nécessite aussi que le marché et l’Etat soient
disposés à agir à chaque fois que cela peut ajouter de la valeur sociale. Autrement dit, chaque
institution doit être « rationnelle dans un sens collectif ». Un jeu d’initiative est proposé pour illustrer
le problème dans le cas du marché. Le point de départ consiste à distinguer deux sortes de coûts de
transaction : ceux qui sont dépensés individuellement pour prendre l’initiative du marchandage ; ceux
qui sont dépensés ensuite pour mener les négociations à leur aboutissement. On montre alors que le
marché n’est pas rationnel au sens défini ci-dessus : le marché n’est pas toujours disposé à agir quand
il peut ajouter de la valeur sociale. De plus, par défaut de coordination, le marché peut dépenser
plusieurs fois les coûts d’initiative, en pure perte.


1) Introduction :


En dernier ressort, une économie est une institution en charge de combiner des agents et des
biens. Pour l’économiste, sa performance s’apprécie sur sa capacité à trouver une allocation efficace
au sens de Pareto. L’un des moyens bien connu pour s’approcher de ce résultat est l’échange. L’idée
est que, si la distribution initiale n’est pas efficace, les agents tenteront d’y remédier au moyen


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d’échanges volontaires, donc mutuellement bénéfiques (ce qui rapproche immanquablement de
l’efficacité Paretienne). Le « lieu » de tels transactions volontaires est appelé ici un « marché », dans
une définition qui englobe donc le concept de marché walrassien (échange impersonnel et affichage
d’un prix par un commissaire-priseur) et coasien (négociation bilatérale ou multilatérale).


Des échanges ont lieu pour la plupart des biens, pas pour d’autres (notamment dans le domaine de
l’environnement). Beaucoup d’économistes ont travaillé à comprendre pourquoi et nous permettent en
l’état actuel des connaissances de dresser la liste des causes d’échecs des transactions suivante :


a. droits physiquement ou légalement mal définis,
b. droits non exclusifs (effets externes, passager clandestin),
c. communication imparfaite entre les individus, physiquement (ignorance de l’existence et de


l’identité du (des) co-échangiste(s)) ou stratégiquement (non révélation d’informations privées pour
obtenir une rente),


d. concurrence imparfaite.


Coase (1960) suggère d’employer le terme de « coût de transaction » pour désigner les dépenses
nécessaires pour surmonter les obstacles à l’échange. De là découle le Théorème de Coase, qui énonce
que « dans un monde fictif où les coûts de transaction sont nuls, l’allocation des ressources est efficace
au sens de Pareto et ne dépend pas de la distribution initiale des droits de propriété » (Lévêque, 1998,
p.37) 1. Il est tautologique, en tant que la proposition est contenue dans la définition des coûts de
transaction (Cooter, 1988, p. 459) :


« Market failures are too diverse to be subsumed under a reasonably circumspect
concept of transaction cost, and, consequently, the transaction cost interpretation of
the Coase Therem should be regarded as false or as a tautology whose truth is
achieved by inflating the definition of transaction costs »


En corollaire (et c’est la substance de l’article de 1960 selon Coase, 1988), il découle du théorème
que, si les coûts de transaction sont positifs, certaines transactions potentiellement avantageuses (avec
des coûts de transaction nuls) ne se feront pas, incapables qu’elles sont de couvrir les coûts de
transaction qui les concrétisent. Il est important de reconnaître que, dans cette mesure, l’allocation des
droits de propriété héritée du libre jeu du marché ne peut jamais être jugée inefficace (elle n’est
inefficace que si l’on omet de considérer les coûts de transaction), à moins de trouver un moyen de
contourner certains obstacles à l’échange et, ainsi, d’atténuer les coûts correspondants
.


Or, précisément, ces moyens existent ; des organisations autres que le marché assurent le
remaniement des droits de propriété : les firmes, les associations, les mutuelles, l’Etat, etc. Elles
fonctionnent selon des règles distinctes de celle du marché, ce qui laisse augurer des performances
différentes pour une même transaction. On peut croire, dans ces conditions, que le marché puisse
utilement être secondé par ces organisations concurrentes, au sens où ces dernières peuvent générer un
surplus positif, net des coûts d’organisation, là où le premier n’y parvenait pas.


Dans un souci de simplification (et conformément à notre problématique), je me permets de
ranger toutes ces institutions en deux groupes. Le marché, les firmes, les associations, les mutuelles,
etc., sont celles qui relèvent toujours de l’initiative des individus concernés par la transaction à
réaliser. Le volontariat des participants en est donc le principe moteur en dernier ressort. Ce dernier
fait à la fois la force et la faiblesse de ces organisations ; leur force en cela qu’elles satisfont toujours
l’unanimité et le critère de Pareto ; leur faiblesse en cela qu’elles sont vulnérables aux comportements



1 Coase (1960, p 82-83) conjecture aussi que : « Once the costs of carrying out market transactions are


taken into account … rearrangement of rigths will only be undertaken when the increase in the value of
production … is greater than the costs which would be involved in bringing it about. » Dixit et Olson (2000, p.
311) parle à ce propos de version élargie du théorème de Coase (i.e. « super Coase Theorem »). La formulation
de Coase n’est pas assez précise pour déterminer s’il entend la condition posée comme suffisante ou nécessaire
pour que la transaction se produise. Quoiqu’il en soit, les discussions subséquentes prouvent largement qu’elle
est seulement nécessaire : si les individus anticipent une intervention de l’Etat, ils ne concrétisent pas forcément
une transaction rentable (cf. le jeu 1 par exemple) ; si l’action en groupe requiert une initiative individuelle
préalable et coûteuse, des transactions rentables pour le groupe peuvent échouer (cf. le jeu 3, par exemple).


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stratégiques des individus, qu’elles n’approchent l’idée de rationalité de groupe qu’au prix de
l’invention de mécanismes conçus pour combattre ces derniers 2. Nous utiliserons les mots « initiative
privée », « marché » (dans un sens large) pour désigner cette première catégorie. Nous appellerons
« coûts de transaction » les coûts de la réalisation d’un échange au moyen d’une de ces organisations.
L’Etat et ses différentes émanations relèvent d’une seconde catégorie. Par opposition à la première,
l’initiative échappe aux individus concernés par la transaction (qui en reste toutefois les bénéficiaires).
Une autre différence importante vient du fait que l’Etat dispose, comme dit Max Weber, du
« monopole de l’usage légitime de la force physique ». Il peut donc, à l’occasion, imposer un
remaniement des droits de propriété incompatible avec le critère de Pareto (ce qui ne l’empêche pas
toutefois de rechercher l’unanimité) 3. Nous utiliserons les mots « intervention publique », « Etat »,
« gouvernement » pour désigner cette seconde catégorie. Nous appellerons « coûts d’administration »
les coûts de la réalisation d’un remaniement des droits de propriété par ce moyen.


Pour une même allocation finale des droits de propriété, les coûts du recours au marché ou à
l’Etat, i.e. les coûts de transaction et d’administration respectivement, seront normalement différents,
dans la mesure où les deux procédures ne font pas face aux mêmes exigences. De même, chaque
organisation, visant un domaine donné, aboutira éventuellement à une allocation finale différente, du
fait de ces mêmes différences. De là viennent les recommandations suivantes (Coase, 1960 ; Calabresi,
1968 ; Lévêque, 1999) :


a. à distribution finale des droits de propriété identique (même résultat), employer l’institution
la plus économe, sous réserve que le coût d’organisation correspondant soit inférieur au
surplus dégagé, à ne rien faire sinon ;


b. à coût d’organisation identique, employer l’institution la plus à même d’approcher la
distribution des droits efficace, sous réserve que le coût associé soit inférieur au surplus
dégagé, à ne rien faire sinon.


Ces recommandations sont l’aboutissement d’un débat théorique opposant deux visions de
l’intervention dans l’économie, à savoir Pigou et Coase. Elles garantissent d’atteindre l’optimum
social en toutes circonstances. On peut être frappé par l’évidence et la simplicité de leur énoncé.
Toutefois, ceci ne doit pas tromper sur leur importance. Rétrospectivement, il me semble que le mérite
principal de cette réflexion est d’avoir ébranlé une conviction tenace, initiée par Pigou et transmise par
l’économie du bien-être, d’après laquelle la présence de tel ou tel défaillance du marché walrasien
(externalité, bien public, etc.) requerrait l’intervention systématique de l’Etat. Coase a critiqué ce biais
interventionniste, en montrant non seulement qu’aucun argument théorique ne permettait de fonder
cette croyance, mais aussi qu’elle ne résistait sûrement pas à un examen pointilleux de quelques cas
particuliers.


Il est curieux de constater que, malgré leur ancienneté et leur accessibilité 4, ces considérations
tardent à inspirer des recherches pour leur donner un contenu pratique précis 5. A ce sujet, on peut
citer Lévêque (1998, p.39) :



2 Avec le vocabulaire de l’économie de l’information, on dirait que ces organisations, en tant qu’on y


adhère volontairement, satisfont des contraintes de compatibilité et de participation individuelles. Ce faisant,
elles tombent sous le coup des théorèmes d’impossibilité mis en évidence dans le domaine des mécanismes
directs révélateurs (cf., par exemple, Myerson et Satterthwite, 1983, Matsuo, 1989 et Rochet, 1985)


3 En suivant la note précédente, qui suggère d’assimiler les organisations à des mécanismes, on en vient à
affirmer que la seule différence entre le marché et l’Etat tient à la nécessité de rencontrer ou non les contraintes
incitatives et de participation. Réciproquement, cela implique que l’Etat perd tout avantage organisationnel dès
lors qu’il choisit de se soumettre aux mêmes contraintes (à moins de supposer que les agents révèlent plus
volontiers leur préférence à l’Etat qu’aux autres organisations !).


4 Les recommandations a. et b. ci-dessus, formulées de façon plus détaillée, sont déjà très explicites dans la
section VI de « The problem of social cost » (Coase, 1960, p. 15-19). Elles sont formulées de manière
particulièrement limpide par Calabresi (1968, p. 69 ; cf. infra).


5 La lecture des manuels d’économie publique et d’économie de l’environnement est révélatrice du malaise
auquel je fais référence ici. La critique faite par Coase de l’économie du bien-être est systématiquement


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« En conséquence, il n’y a pas de solution à appliquer préférentiellement en général. Il
est nécessaire de procéder au cas par cas. Il n’existe cependant pas aujourd’hui de
méthode opérationnelle permettant de comparer dans un contexte précis les coûts de
transaction des différentes solutions envisageables. La boîte à outils de l’économie
institutionnelle pour traiter la réglementation environnementale est vide en
comparaison de celle dont on dispose pour traiter la question industrielle du « faire ou
laisser-faire » qui a été développé par Williamson (1975). Les orientations
méthodologiques formulées par Coase pour le choix des solutions de réduction de
pollution sont restées à l’état de principes généraux
» (souligné par moi)


Μon opinion est qu’il n’y a pas de raison de croire que le retard pris dans ce domaine est le fruit
du hasard. Au contraire, nous défendrons l’idée suivant laquelle il existe des obstacles pour passer de
l’énoncé des recommandations théoriques a. et b. ci-dessus à leur mise en œuvre scrupuleuse. Ainsi,
envisageons le temps de cet article la question de la répartition des rôles entre le marché et l’Etat sans
a priori. Autrement dit, supposons (naïvement, peut-être !) que ni le marché ni l’Etat n’ont jamais
d’avantage comparatif, et ce, quelle que soit la nature de la transaction considérée (bien privé, bien
non rival, bien non exclusif, externalité, etc.) 6. Imaginons en conséquence un moyen d’appliquer les
recommandations a. et b. à chaque transaction potentielle
. Les difficultés apparaissent évidentes :
d’une part, ce programme est démesuré et, d’autre part, il ne peut être délégué qu’à des conditions très
strictes, dans la mesure où il s’adresse de façon simultanée et symétrique à tous les acteurs (à savoir
les bénéficiaires de la transaction et l’Etat) 7. Quand le marché est la solution la plus efficace, les
individus doivent agir et l’Etat doit laisser faire ; inversement, si l’Etat est plus performant, les
individus doivent rester passifs et l’Etat doit intervenir. Autrement dit, plusieurs centres de décision
autonomes, plus ou moins prévisibles et disposant d’informations asymétriques, doivent se soumettre
(plus ou moins bien) à une seule et même règle. Ainsi formulée, la question de la mise en œuvre des
recommandations a. et b. devient donc celle de l’articulation et de la coordination des initiatives
privées et publiques.


Le plan que nous suivons ci dessous est le suivant. Dans la section 2, nous présentons notre façon
d’aborder la question posée à l’instant et nous fixons un cadre d’analyse centré autour des trois
concepts clés que sont l’information, la rationalité et la communication. Les sections suivantes
proposent des illustrations plus ou moins stylisées des thèmes survolés dans la section 2. La section 3
traite de la question de l’information nécessaire à la coordination. La section 4 aborde le problème du
comportement des joueurs en groupe (rationalité en groupe ?) et ses conséquences sur la mise en
œuvre des règles a. et b.


2) Aperçu général :


Malgré le risque de caricaturer à la fois la question posée et les auteurs cités, je crois qu’il est
utile d’aborder ce problème délicat en se référant à trois représentations de l’économie, issues
respectivement des œuvres de Hayek, Pigou et Coase. Ceci fait, je pense que nous serons en droit
d’affirmer que tout système de coordination du marché et de l’Etat faisable d’un point de vue
informationnel échoue à respecter sans faille (i.e. dans tous les états du monde) les recommandations



présentée, jamais approfondie. Ses conséquences sont escamotées en arguant le fait que les coûts de transaction
augmentent rapidement avec la taille du groupe, faisant un pont d’or à l’intervention de l’Etat dans les domaines
qui lui sont traditionnellement réservés.


6 Cette hypothèse de travail appelle une remarque. Coase (1937) présente un cadre analytique, centré autour
du concept de coût de transaction. Il l’emploie ensuite pour délimiter la firme et le marché. Coase (1960) l’utilise
à nouveau pour repousser la frontière entre le marché et l’Etat, en mettant à mal l’idée suivant laquelle la
présence d’une externalité appelle une intervention de l’Etat. En fait, théoriquement, la méthode de Coase
s’applique dans toutes les directions, aussi bien en diversifiant les types d’organisations que les types de
transactions mises en concurrence. Aussi n’y a-t-il aucune difficulté, d’un point de vue méthodologique, à mettre
en concurrence le marché et l’Etat sur toutes les transactions, considérées comme homogènes.


7 La citation suivante (Coase, 1988, p.28) montre que Coase envisage de la confier au seul gouvernement :
« La mission du gouvernement est précisément d’arbitrer parmi les institutions sociales qui exercent les
fonctions du système économique. » Il n’envisage pas d’autres modes de coordination.


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a. et b. Ceci s’expliquerait par l’impossibilité d’une coordination consciente complète, aucun agent
n’ayant les capacités techniques, cognitives et économiques de centraliser toute l’information utile à la
réalisation d’un tel objectif (cf. Hayek), et, en conséquence, par la soumission forcée des acteurs à une
coordination de moindre mal, fondée sur la comparaison moyenne des performances relatives des
deux organisations sur telles ou telles transactions en général (cf. Pigou) et au cas par cas (cf. Coase).
Nous présentons le cheminement menant à cette conclusion ci-dessous.


Partons d’un cas idéal. Théoriquement, sans même qu’il soit besoin d’un processus de
coordination explicite, la multitude des centres de décision ne posera aucun problème si tous les
acteurs sont parfaitement informés et rationnels. En pareil cas, le marché, se sachant par exemple
moins performant que l’Etat sur telle transaction, s’abstient parce qu’il sait que ce dernier, lui-même
parfaitement informé des occasions d’échanges pertinents au sens de Pareto, s’en chargera à meilleur
compte. A l’inverse, l’Etat, sur telle autre transaction, adopte une attitude non interventionniste s’il est
relativement moins efficace que le marché, laissant à ce dernier l’occasion d’organiser par lui-même
une transaction moins coûteuse.


En information imparfaite, la coordination peut continuer à bien fonctionner si les transactions,
classées par types (les biens privés ou publics, les externalités, etc.), et les organisations (le marché et
l’Etat) peuvent être mises en relation univoque sur le critère de leur performance relative. Ainsi, s’il
est de notoriété publique, par exemple, que le marché est toujours mieux placé pour organiser les
échanges de biens privés et que, par contre, l’Etat le supplante systématiquement dans les autres cas,
alors, avec une grande économie d’information (il suffit d’observer les caractéristiques du bien, i.e.
privé ou public, effet externe ou non), des acteurs rationnels pourront se régler les uns sur les autres et,
en fin de compte, se soumettre aux recommandations a. et b. Sans trop trahir son message, on peut
affirmer que cette vision correspond au message de l’économie du bien-être (Pigou, Samuelson, etc.).
Elle énonce en effet que le marché est toujours préférable (car parfaitement efficace) tant que les
conditions de validité des deux théorèmes de l’économie du bien-être sont réunies. Par contre, elle
pointe l’inefficacité du marché en présence d’externalité, de bien public et de monopole naturel (non
convexité). De ce résultat théorique, elle suggère la règle de l’intervention systématique de l’Etat,
chaque fois qu’une telle situation survient. Implicitement, l’économie du bien-être considère donc que
les coûts de transaction sont toujours plus petits que les coûts d’administration pour l’échange de biens
privés, et toujours plus grands pour les échanges en matière d’externalités, de biens publics et de non
convexités.


En réalité, il est douteux que l’on puisse apparier, sur la base de leur efficacité respective,
organisations et domaines d’action (i.e. types de transactions) de façon systématique et sans
recoupement. Comme l’a suggéré Coase (1960), aucune règle universelle attribuant à l’Etat la gestion
des externalités ne peut être édictée sans risquer de la voir prise en défaut, au cas par cas, sur le critère
de l’efficacité. Peu à peu, cette idée s’est vue étendue à d’autres domaines d’intervention traditionnels
de l’Etat, notamment les biens publics et les monopoles naturels (cf. Demsetz, 1970, et Lévêque,
1998). Autrement dit, la présence des défauts du marché pointés par l’économie du bien-être ne
justifie pas, à elle seule, l’intervention de l’Etat ; tout au plus requiert-elle un examen plus approfondi
de l’opportunité d’une telle action 8.



8 Notons au passage un autre problème. Même s’il était concevable que des règles générales et infaillibles ,


attribuant des domaines réservés aux acteurs, puissent être définies (comme celles que l’on vient d’évoquer à
propos de l’économie du bien-être), cela ne suffit pas pour que la coordination se fasse bien en pratique. Deux
autres conditions sont requises : d’une part, il faut que l’acteur désigné par la règle se manifeste effectivement le
moment venu, c’est-à-dire à chaque fois que le besoin s’en fait sentir (donc qu’il soit, en fait, informé des
besoins de tous) ; d’autres part, il faut que les autres croient qu’il le fera, afin qu’ils restent effectivement passifs.
Par exemple, l’Etat, quoique, par hypothèse, toujours le mieux placé pour fournir un bien public ou pour corriger
une externalité, peut ne pas être toujours conscient des besoins ressentis (non exprimés) par une population
éparse. En pareil cas, les individus, incertains du secours qu'il peut leur offrir spontanément, auront le choix
entre trouver une solution privée (par hypothèse moins efficace ; cf. la section 4 et la discussion sur le paramètre
ρ*), ou solliciter l’intervention de l’Etat (ce qui est également coûteux, dans la mesure le groupe doit se former,
exprimer le besoin et le communiquer à l’Etat) ; mais quelle que soit l’issue choisie, elle constitue par hypothèse
un moindre mal.


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Prudemment, Coase avance donc que la recherche de la meilleure solution institutionnelle relève
du cas par cas et exige une enquête de terrain. Calabresi (1968, p. 69) exprime clairement ce point 9 :


« The resource allocation aim is to approximate, both closely and cheaply, the result
the market would bring about if bargaining actually were costless. The question then
becomes: Is it accomplished most accurately and most cheaply by structural rules (like
anti-trust laws), by liability rules, by taxation and governmental spending, by letting
the market have free play or by some combination of these ? This question depends in
large part on the relative cost of reaching the correct result by each of these means (an
empirical problem which probably could be resolved, at least approximately, in most
instances) and the relative chances of reaching a widely wrong result depending on the
method used (also an empirical problem but one as to which it is hard to get other than
"guess" type data). »


Coase invite donc à rejeter l’« économie du tableau noir » (Coase, 1960), pour admettre un
traitement des transactions au cas par cas en information imparfaite. Son programme, pris à la lettre,
consiste à lister, pour toutes les transactions potentielles, toutes les solutions organisationnelles
envisageables, à les chiffrer pour, finalement, sélectionner la meilleure. Il exige donc un processus de
coordination centralisé. Ceci paraît utopique.


Concrètement, la coordination se fait et doit se faire la plupart du temps tacitement, c’est-à-dire
sans communication directe et explicite entre les acteurs de leurs intentions et de leurs informations.
Cela relève de la plus stricte nécessité : nul ne peut entendre, comprendre et traiter toute l’information
nécessaire, au-delà d’une certaine échelle (géographique, démographique, etc.) ; même si cela était
concevable, le coût nécessaire à la collecte et au traitement d’une telle quantité d’information serait
exorbitant ; par ailleurs, l’information collectée serait le plus souvent inutile (à quoi sert à l’Etat
d’interroger le marché sur sa capacité à fournir un bien public ou à corriger une externalité, sachant
qu’il a de forte chance d’être relativement inefficace ; bilan fait, il a dépensé des coûts de collecte
d’information en pure perte, et doit tout de même intervenir), ce qui justifie de la filtrer : certaines
données méritent d’être communiquées, d’autres peuvent rester privées.


Force est donc d’admettre que la réalisation à la lettre du programme coasien est impensable
économiquement, en raison de l’information qui lui serait nécessaire. Il est seulement applicable à
quelques transactions présélectionnées, pas à l’ensemble de l’économie, définie comme toutes les
transactions imaginables. A cette dernière échelle, il est plus circonspect de s’en remettre à des règles,
mêmes faillibles. Cette procédure de sélection présente l’avantage indéniable d’économiser des coûts
de communication qui, de fait, ne sont pas rigoureusement nécessaires à la marche du système (la
plupart du temps). Son inconvénient est qu’on ne peut jamais être sûr, en les suivant, de ne pas
désigner, sur telle ou telle transaction particulière, la mauvaise organisation.


Voici comment Hayek (1973, p.46) décrit ce processus :


« In any group of men of more than the smallest size, collaboration will always rest
both on spontaneous order as well as on deliberate organization… That the two kinds
of order will regularly coexist in every society of any degree of complexity does not
mean, however, that we can combine them in any manner we like. What in fact we
find in all free societies is that, although groups of men will join in organizations for
the achievement of some particular ends, the co-ordination of the activities of all these
separate organizations, as well as of the separates individuals, is brought about by the
forces making for a spontaneous order. The family, the farm, the plant, the firm, the
corporation, and the various associations, and all the public institutions including
government, are organizations which in turn are integrated into a more comprehensive
spontaneous order. »



9 Calabresi n’est pas totalement clair sur le fait de savoir s’il entend mener l’étude proposée sur chaque cas


ou s’il prévoit de tirer des études passées une connaissance moyenne, c’est-à-dire des règles à la façon de
l’économie du bien-être, mais établies de façon empirique et basées sur une liste de critères plus étoffée.


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La suite de l’article illustre de façon stylisée quelques arguments du raisonnement précédent. La
question centrale est celle de la coordination du marché et de l’Etat sur les recommandations a. et b.
dans le monde réel. La complexité de ce dernier sera appréhendée dans notre analyse au moyen de la
dissémination de l’information (section 3) et de l’incompatibilité des incitations individuelles avec les
objectifs sociaux (section 4).


3) Coordination en information incomplète


Nous abordons ici le rôle joué par l’information dans la coordination du marché et de l’Etat. En
attendant d’examiner l’autre question annoncée dans la section 4, à savoir le comportement des acteurs
et leur prévisibilité, nous postulons ici que le marché comme l’Etat sont rationnels dans un sens
collectif, soit qu’ils prennent toujours la décision qui maximise leur bien-être, compte tenu de
l’information qu’ils possèdent.


Bien que toutes ces notations et hypothèses ne soient pas toutes immédiatement utiles, posons-les
dès à présent par commodité. A l’instant initial t = 0, le marché et l’Etat considèrent une transaction
(on dira aussi un projet) quelconque parmi la multitude des transactions potentielles. Elle implique au
minimum n ≥ 2 individus (si n = 2, on parle d’échange bilatéral ; si n > 2, on parle d’action en groupe).
Le groupe constitué de ces n individus prend l’initiative de la solution de marché. On note v∈V la
valeur agrégée de la transaction pour les n individus, c∈C et c*∈C* respectivement le coût de son
organisation par le marché et par l’Etat 10 11. On suppose que C ∩ C* est non vide ; autrement dit, il
est possible que le marché soit plus performant que l’Etat, et réciproquement. Les valeurs de ces trois
variables sont tirées au sort par "Nature" suivant les distributions cumulées G(v), F(c) et F*(c*)
respectivement (les densités sont notées en minuscules). On suppose que ces lois de probabilité sont
connaissance commune. Le groupe et l’Etat ne communiquent pas. S’il intervient, l’Etat finance
intégralement, par hypothèse, le coût d’administration c* en levant un impôt payé par les n individus
(à parts égales ou non). Donc (et si l’Etat est bénévole), le marché et l’Etat ont la même fonction
d’objectif ex post, égale au surplus social généré : v – c si le marché prend en charge la transaction ; v
– c* si l’Etat intervient ; 0 dans le scénario du laisser-faire (entendu dans le sens du statu quo, donc de
l’absence de transaction). Si le projet est concrétisé avec retard, par exemple, à la date t, le surplus est
pondéré par un facteur d’actualisation e – r t pour les deux joueurs, où r représente un taux
d’actualisation supposé commun.


En utilisant ces notations, on peut transcrire les recommandations a. et b. :
- le marché doit organiser la transaction quand v > c et c < c* ;
- l’Etat doit intervenir quand v > c* et c* < c ;



10 En toute rigueur, il faudrait distinguer v et v*, c’est-à-dire le surplus dégagé par le marché et le


gouvernement respectivement. En effet, rien ne garantit que le gouvernement et le marché obtiennent le même
résultat en terme de surplus produit : alors que le marché est volontaire et satisfait par conséquent au critère
d’unanimité, le gouvernement impose parfois sa politique, sans forcément rechercher l’unanimité. Toutefois, afin
de limiter les notations, il est plus commode de considérer que l’écart éventuelle entre v et v* est implicitement
reportée dans c et/ou c*.


11 Les données (v,c) et (v*,c*) (avec v = v*, cf. note 6) peuvent être vues comme le résultat d’un
programme d’optimisation dans lequel le marché et l’Etat déterminent et mettent en œuvre l’organisation
optimale (pour maximiser v – c et v* – c* respectivement). Ce programme d’optimisation implicite peut être
modélisé de deux manières. On peut considérer d’une part une liste d’organisations prédéfinies, E pour le
marché et E* pour l’Etat. En fonction des organisations choisies i ∈ E et i* ∈ E*, on aurait les surplus vi et vi**,
les coûts de transactions ci et les coûts d’administration ci**. On peut imaginer d’autre part que le marché et
l’Etat construisent l’organisation voulue en réglant certains paramètres pris dans des ensembles K et K*
(incluant, par exemple, la quantité et le type d’informations collectées, les instruments utilisés, les procédures de
décisions et les mécanismes de contrôle prévus, l’usage de la force, etc.) Pour les paramètres k ∈ K et k* ∈ K*,
on aurait les surplus v(k) et v*(k*), les coûts de transaction c(k) et c*(k*). Cette seconde modélisation pose des
questions intéressantes : doit-on considérer K = K* et faire porter la différence d’efficacité du marché et de l’Etat
sur les fonctions auxquelles ils accèdent, i.e. v() ≠ v*() et c() ≠ c*() ? ; doit-on au contraire considérer qu’ils ont
accès aux mêmes fonctions v() = v*() et c() = c*(), pas aux mêmes facteurs, i.e. K ≠ K* ? Une combinaison des
deux est évidemment possible.


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- le laisser-faire est préférable quand v < c et v < c*.
Par définition, la coordination sera dite parfaite si ces règles sont suivies quel que soit l’état du monde.
La figure ci-dessous délimite dans l’espace (c,c*,v) les zones définies par ces règles.


Figure 1 : Règles efficaces



La question de la coordination et de l’information peut être abordée à l’aide de la théorie des jeux.


On peut envisager deux formalisations : le jeu peut être simultané ou séquentiel. Le choix de l’une ou
l’autre version est délicat. Le jeu séquentiel présente l’avantage de traiter la question du temps et de
l’adaptation aux choix adverses, cruciale pour décrire la coordination (cf. la section a). Pour autant, le
fait de se mettre d’accord, pour ces raisons, sur un jeu séquentiel nous met dans l’embarras de devoir
décider qui, du marché ou de l’Etat, a l’initiative (autrement dit, joue en premier), alors qu’en toute
rigueur, l’ordre lui-même est endogène (cf. la section b). Bien entendu, le meilleur moyen de se
coordonner est de confier la décision à une seule personne et de lui communiquer les informations
nécessaires, sans omettre, en contrepartie, de prendre en compte les coûts d’une telle démarche (cf.
section c). Un moyen d’économiser ces derniers est de communiquer seulement quand le choix de la
bonne organisation est le plus incertain, ce qui requiert au préalable de décrire et cataloguer aussi
finement que possible les transactions, à la manière de l’économie institutionnelle (cf. section d).


a) Dissémination de l’information


Considérons les jeux séquentiels suivants, distincts par l’ordre d’apparition des joueurs. Pour ne
pas surcharger, un seul paiement est inscrit au nœud terminal de chaque branche, étant donné que les
utilités des deux joueurs sont identiques ex post. Les actions des joueurs sont J pour « joue », i.e.
termine le jeu par la mise en œuvre de l’échange, ou P pour « passe », i.e. n’intervient pas.


Jeu 1 : Arbres du jeu



(a) (b)


Légende : J = joue, P = passe.


Il est évident que, si les deux joueurs connaissent les valeurs prises par v, c et c*, l’issue des deux
jeux est celle qui maximise le surplus (égal à max(v – c,v – c*,0)), quel que soit l’état du monde. Si le
marché joue en premier, il anticipe que l’Etat, par hypothèse rationnel et bien informé, intervient si v –
c* > 0, s’abstient sinon. Le marché agit donc (joue J) si v – c ≥ max (v – c*,0), soit si v – c > 0 et c <
c*, ne fait rien (joue P) sinon. Si l’Etat joue en premier, il anticipe que le marché, par hypothèse
rationnel et bien informé, concrétise la transaction si v – c > 0, ne fait rien sinon. Il intervient donc si v
– c* ≥ max (v – c,0), soit si v – c* > 0 et c* < c, ne fait rien sinon. Dans les deux cas, le résultat


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souhaité est obtenu sans difficulté. Donc, en information parfaite, l’ordre n’importe pas et les deux
joueurs se coordonnent naturellement sur les recommandations a. et b.


Dans cette section, nous cherchons à savoir jusqu’à quel point ce résultat survit à
l’appauvrissement de l’information disponible. Pour caractériser l’information mobilisable par chaque
joueur, notons I et I*, éléments de {{∅},{v},{c},{c*},{v,c},{v,c*},{c,c*},{v,c,c*}}, les ensembles
d’informations du marché et de l’Etat respectivement. La stratégie du marché (resp. de l’Etat) est une
fonction de I (resp. I*) dans {J,P}.


Proposition 1 : une condition nécessaire et suffisante pour que l’équilibre du jeu soit efficace ex
post, quel que soit l’état du monde, est que le leader soit parfaitement informé (i.e. connaisse v, c et
c*) et que le suiveur connaisse la valeur de la transaction et son coût d’organisation propre (i.e. v et,
selon le cas, c ou c*).


Preuve :


« Lemme » : quel que soit le protocole du jeu (simultané, séquentiel ou répété), une condition
nécessaire et suffisante pour que l’équilibre du jeu soit efficace ex post est que les joueurs disposent
d’une information suffisante (sans coût) pour appliquer les stratégies « J si v > c et c < c*, P sinon »
pour le marché et « J si v > c* et c* < c, P sinon » pour l’Etat.


Quelle que soit la forme du jeu, l’équilibre du jeu est efficace ex post si et seulement si,
rétrospectivement, le marché a appliqué la stratégie « J si v > c et c < c*, P sinon » et l’Etat a appliqué
la stratégie « J si v > c* et c* < c, P sinon » simultanément. Autrement dit, tout écart de l’un
quelconque des joueurs est fatale, en ce sens qu’il ne pourrait être corrigé par l’autre, par quelque écart
en réponse que ce soit, pour tout état du monde. Ceci est évident et ne fait que transposer sous forme
de stratégies les conditions d’optimalité a. et b. Partant, la détermination des conditions pour atteindre
l’efficacité ex post, pour tout jeu, requiert seulement de s’assurer que chaque joueur désire appliquer
sa stratégie (contrainte d’incitation) et en a les moyens (contrainte d’information), sous l’hypothèse
que l’autre applique sa stratégie (car, répétons-le, dans le cas général où l’autre appliquerait une
stratégie différente, l’efficacité ex post serait inatteignable, quelle que soit la stratégie du premier). La
contrainte d’incitation ne pose aucun problème, dans la mesure où il est toujours dans l’intérêt de
chaque joueur d’appliquer sa stratégie si l’autre applique la sienne, au moins tant que cela ne coûte
rien, notamment en recherche d’information 12. Pour démontrer cela, écrivons l’utilité des deux
joueurs sous la forme p (1 – p*) (v – c) + (1 – p) p* (v – c*) + p p* W, où p et p* sont les probabilités
que le marché et l’Etat respectivement jouent J et où W < max(v – c,v – c*,0) est le paiement obtenu
en cas de double initiative. Supposons que l’Etat applique la stratégie « J si v > c* et c* < c, P sinon ».
L’utilité du marché devient : (1 – p) (v – c*) + p W si v > c* et c* < c, p (v – c) sinon. Pour déterminer
la stratégie de meilleure réponse du marché, on doit distinguer les deux situations. Dans tous les états
du monde tels que v > c* et c* < c, le marché désire jouer J (p = 1) si W > v – c*, P sinon (p = 0). Or
W > v – c* est impossible compte tenu de la stratégie de l’Etat : max(v – c,v – c*,0) > W > v – c*
implique max(v – c,v – c*,0) – (v – c*) = max(c* – c,0) > 0, ce qui suppose que c* > c et est
contradictoire avec la stratégie de l’Etat. Dans tous les états du monde tels que v < c* ou c* > c, le
marché désire jouer J (p = 1) si v – c > 0, P sinon. Ceci prouve que la stratégie « J si v > c et c < c*, P
sinon » est la meilleure réponse du marché à la stratégie « J si v > c* et c* < c, P sinon » de l’Etat. La
réciproque est immédiate. Il ne reste donc que la contrainte d’information et le lemme est établi.


Appliquons le lemme au jeu 1 (a), dans lequel le marché joue en premier (la transposition de la
démonstration au jeu 1 (b) est immédiate). Etant donné qu’il joue en premier, la seule information dont
dispose le marché est I. Comme sa stratégie dépend de v, c et c*, il est nécessaire et suffisant qu’il
connaisse effectivement ces trois paramètres. Soit I = {v,c,c*}. De son côté, l’Etat, jouant en second,
dispose de trois informations, à savoir son ensemble d’informations I*, la connaissance de la stratégie
du marché « J si v > c et c < c*, P sinon » et le fait que ce dernier a joué P. A l’aide des deux dernières
données, il peut inférer que, quand son tour arrive, l’un des quatre ordres suivants prévaut : v > c > c*,



12 Dans le jeu 2, un délai est nécessaire pour s’informer et appliquer sa stratégie. Quand le facteur


d’escompte est positif, les stratégies énoncées sont coûteuses et ne sont plus individuellement optimales.


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c > v > c*, c > c* > v ou c* > c > v. On cherche les conditions pour que ces informations (I* et les
quatre possibilités) permettent d’appliquer sa stratégie « J si v > c* et c* < c, P sinon ». Remarquons
qu’il faut et qu’il suffit que l’Etat sache classer v et c* l’un par rapport à l’autre quel que soit l’état du
monde. En effet, compte tenu des quatre ordres possibles, v > c* implique c* < c. Il nous reste à
recenser tous les cas possibles :


- si I* = {v,c,c*} ou {v,c*}, l’Etat classe sans problème v et c*, sans même faire appel au fait
que le marché a choisi P ;


- si I* = {v,c}, l’Etat sait si v > c ou v < c. Quand v > c, le marché joue P si c > c* ; l’Etat en
déduit que v > c > c* et qu’il doit jouer J. Quand v < c, l’Etat n’apprend rien sur c* (quel que soit c*,
le marché joue P) et n’a donc aucun moyen de classer v et c* avec certitude. Il s’ensuit que l’Etat n’est
pas en mesure d’appliquer sa stratégie quel que soit l’état de nature ;


- si I* = {c,c*}, l’Etat sait si c > c* ou c < c*. Quand c < c*, le marché joue P et lui laisse la
main si v < c ; l’Etat en déduit que v < c < c* et qu’il doit jouer P. Quand c > c*, l’Etat n’apprend rien
sur v (quel que soit v, le marché joue P) et n’a donc aucun moyen de classer v et c*. Il s’ensuit que
l’Etat n’est pas en mesure d’appliquer sa stratégie quel que soit l’état de nature ;


- si I* = {v} ou {c} ou {c*} ou {∅}, l’Etat est encore moins à même de s’informer sur le
classement de v et c* que dans les deux cas précédents. On conclut donc qu’il ne peut pas appliquer sa
stratégie dans tous les états du monde.


On peut donc conclure : les deux stratégies étudiées sont les seules compatibles avec l’efficacité
ex post ; pour que les joueurs appliquent ces stratégies, il faut et il suffit que I = {v,c,c*} et I* =
{v,c*}.


Cette proposition presque évidente n’en demeure pas moins importante. Elle éclaire le fait que la
coordination sans communication nécessite une information importante des deux partenaires. Il est
difficile de faire le pas entre ce résultat théorique et sa signification pratique, tant cela dépend en fait
d’une donnée dont la connaissance est difficile, à savoir les informations dont les agents disposent en
réalité. Les combinaisons les plus plausibles sont peut-être : I = {v}, {c} ou {v,c} pour le marché ; I*
= {c*} ou {v,c*} pour l’Etat. On peut avancer les arguments suivants pour justifier ce choix :


- les agents, en tant que bénéficiaires directs de la transaction, sont a priori bien placés pour
connaître la valeur de la transaction. Cette idée assez répandue (les individus savent mieux ce qui leur
convient) doit être nuancée. La valeur de la transaction dépend en fait des évaluations personnelles de
plusieurs individus, qui ne se connaissent pas avant sa réalisation. Chacun, ex ante, ne connaît de
manière certaine que sa propre évaluation, ce qui est une information d’autant plus mince que le
nombre de bénéficiaires est grand et, en tout cas, insuffisante pour connaître v de façon certaine.
Quand n est grand, le handicap supposé de l’Etat quant à la connaissance de v tend alors à disparaître,
puisqu’on doit bien admettre que les représentants de l’Etat, tout autant que les bénéficiaires de la
transaction, sont capables de fournir une évaluation personnelle de la transaction. Dans le cas des
biens sous tutelle, il est même admis par certains que l’Etat évalue mieux les besoins des individus,
victimes de myopie (éducation, santé, épargne, etc.) ;


- de même, en tant qu’initiateur de toute solution de marché, les agents sont peut-être mieux à
même de connaître le coût de transaction. Pour autant, là encore, il faut se garder de croire que la
connaissance parfaite de c est l’hypothèse la plus plausible, car il y a lieu de croire que le coût de
transaction n’est pas une donnée objective. D’une part, la procédure d’organisation de la transaction ne
peut pas être pleinement maîtrisée à l’avance. D’autre part, cette procédure est, pour partie au moins,
le résultat d’initiatives désordonnées, ce qui introduit une incertitude d’autant plus grande que le
nombre d’agents est grands (cf. la section 4). La question de la connaissance par l’Etat du coût de
transaction est également délicate. Ex ante, il existe de nombreux moyens concurrents pour organiser
une même transaction, auxquels correspondent autant de valeurs pour le coût de transaction. Ex post,
les enquêtes sont biaisées, puisqu’on ne collecte de données que sur des transactions qui ont
effectivement été concrétisées, donc préalablement sélectionnées par le marché.


b) Ordre endogène et observation mutuelle :


Dans cette section, nous retenons la structure d’information I = {v,c} et I* = {v,c*}. Cette
configuration a ceci d’intéressant qu’elle trace, d’après la proposition 1, la limite entre une
coordination parfaite et imparfaite : chaque joueur est en mesure de prendre la bonne décision pour ce


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qui le concerne ; il ne commet d’erreur qu’en raison de son ignorance des aptitudes de l’autre. Par
ailleurs, il y a certitude collective (Arrow, 1985), en ce sens que les joueurs possèdent collectivement
une information complète (i.e. I U I* = {v,c,c*}), de sorte qu’en communiquant, ils peuvent atteindre
l’optimum ex post. Il se pose donc un problème de coordination pure.


Ce contexte me paraît adapté pour traiter la question de l’initiative. Si l’ordre d’intervention
devient endogène, les joueurs disposent d’un moyen supplémentaire pour se coordonner, ce qui est de
nature à remettre en cause le résultat pessimiste de la proposition 1. En observant les faits et gestes de
l’autre, ils peuvent a priori apprendre de manière plus précise le type de l’autre (i.e. c ou c* selon le
cas), en prenant conscience du fait que le coût d’opportunité de l’attente est inversement proportionnel
au type de l’agent.


Pour simplifier, nous posons v = 1. En toute généralité, on se restreint à des distributions
tronquées sur l’intervalle [0,1], dans la mesure où aucun joueur n’agirait (ne jouerait J) si le coût
d’organisation excédait la valeur du projet. Formellement, l’arbre du jeu se présente comme suit :


Jeu 2 : Arbre du jeu



Légende : J = joue, P = passe.


A chaque tour, le joueur dont c’est le tour décide de jouer (J) ou de passer (P). S’il joue, il met fin au
jeu en réalisant la transaction par lui-même. S’il passe, il laisse à l’autre la possibilité de prendre en
charge la transaction. δ est un facteur d’actualisation commun.


Pour simplifier, nous analysons une version continue de ce jeu. Dans ce cas, chaque joueur décide
la date à laquelle il jouera, si l’autre n’a pas joué avant lui. Notons T(-) et T*(-) les stratégies des deux
joueurs (respectivement le groupe et le gouvernement). Les paiements s’écrivent :


u(t,T*(-),c) = e– r t (1 – c) P(T*(-) ≥ t) + ∫x / T*(x) < t e– r T*(x) (1 – x) f*(x) dx


u*(t,T(-),c*) = e– r t (1 – c*) P(T(-) ≥ t) + ∫x / T(x) < t e– r T(x) (1 – x) f(x) dx


pour le groupe et l’Etat respectivement. Un équilibre bayésien du jeu se définit par :


u(T(c),T*(-),c) ≥ u(t,T*(-),c),


u*(T*(c*),T(-),c*) ≥ u*(t,T(-),c*),


pour tout c, c* et t.


Proposition 2 : Le jeu de coordination à ordre endogène n’a pas d’équilibre.


Preuve : voir l’annexe.


Pour l’essentiel, cette proposition nous apprend que la possibilité de s’observer et de s’attendre
n’améliore pas forcément la capacité des joueurs à se coordonner efficacement, dès lors que les
joueurs sont impatients (δ > 0). Pour donner l’intuition du résultat, postulons d’emblée les calendriers
T(c) et T*(c*) continues et strictement croissants. Pour obtenir une coordination parfaite, chaque
joueur doit attendre que tous les types plus efficaces adverses aient joué avant d’agir lui-même. Il faut
donc que T(x) = T*(x) pour tout x. Pour simplifier les notations, notons δ(c) = e– r T(c) et δ*(c*) = e– r
T*(c*) les facteurs d’actualisation correspondant. En utilisant le principe de révélation, on sait que, si ce
couple de stratégie constitue un équilibre du jeu, alors l’expression suivante de l’utilité du marché :


u(T(C),T*(-),c) = (1 – c) δ(C) (1 – F*(C)) + ∫0 ≤ x ≤ C (1 – x) δ*(x) f*(x) dx


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est maximale pour C = c, pour tout C et c 13. La condition du premier ordre :


(1 – c) δ’(C) (1 – F*(C)) + (c δ*(C) – C δ(C)) f*(C) = 0


s’annule donc pour C = c. En remplaçant δ*(-) par δ(-) (car T(x) = T*(x) implique δ(c) = δ*(c*)) et C
par c, la condition devient :


(1 – c) δ’(c) (1 – F*(c)) = 0


pour tout c. Il s’ensuit que δ’(c) = – e– r T(c) r T’(c) = 0, soit T’(c) = 0 (à moins que r = 0). Ceci interdit
toute coordination, puisque tout le monde joue en même temps.


La démonstration proposée en annexe va plus loin. En effet, présentée comme à l’instant, on
pourrait croire que les joueurs peuvent se mettre d’accord sur un calendrier approximativement
sélectif, i.e. avec un écart faible entre T(x) et T*(x). Sans être parfaite, la coordination se trouverait
tout de même améliorée par l’observation mutuelle des comportements. En fait, cela n’est pas
possible, puisque toute asymétrie entre les joueurs implique qu’un joueur se lèse volontairement,
attendant sans aucun espoir de voir l’autre faire mieux que lui-même, simplement pour lui permettre
de se caler sur son propre calendrier. Un tel comportement n’est pas crédible.


c) Ordre construit, ordre spontané :


Dans la terminologie de Hayek, un ordre construit fait référence à une organisation sociale pensée
par l’Homme pour atteindre une certaine finalité. Par opposition, un ordre spontané renvoie à une
institution formée indépendamment de la volonté humaine, sur un modèle évolutionniste. Selon
Hayek, la proportion d’ordre construit et d’ordre spontané ne doit jamais s’écarter, dans toute société,
d’un certain intervalle, au motif que cela nuirait à l’efficacité (cf. le débat sur la planification) et à la
liberté (cf. Dostaler, 2001).


Essayons de proposer une méthode pour formaliser l’intuition de Hayek (en laissant de côté la
question de la liberté). Même si une telle interprétation simplifie sa pensée, je crois pertinent de tracer
la frontière entre un ordre spontané et un ordre construit, dans le cadre de cet article, en distinguant le
cas où les joueurs ne communiquent pas et celui où ils le font. Sans communication, les organisations,
ici le marché et l’Etat, décident leurs stratégies indépendamment, donnant naissance à un ordre
spontané. Alors, les propositions 1 et 2 s’appliquent. Ces dernières prouvent qu’une coordination
parfaite est improbable, car cela exige une bonne information de tous les participants. Mais, elles ne
suffisent pas pour caractériser les défauts de coordination dans le monde réel (elles disent seulement
dans quelles circonstances ils doivent survenir certainement). Pour cela, nous avons besoin de
connaître les stratégies effectives suivies par les joueurs qui, en toute généralité, se présentent sous la
forme de deux fonctions donnant, pour chaque point de l’espace (v,c,c*,I,I*,F,F*,etc.), les probabilités
p et p* que le marché et l’Etat respectivement agissent. Ces stratégies empiriques sont riches
comparées à leur pendant dans n’importe quel jeu, intégrant la possibilité de normes de comportement
(réputation d’intervenir dans telles circonstances), de croyances a priori non fondées (différentes de F
et F*), de rationalité limitée, etc.


Par opposition à l’ordre spontané décrit jusqu’ici, l’ordre construit élimine les défauts de
coordination (ceux qui peuvent l’être sachant l’information collectivement disponible) : les joueurs
s’échangent leurs informations, planifient leurs rôles en conséquence, et réalisent toujours le meilleur
score possible, compte tenu des informations collectivement disponibles 14.


En théorie, le programme de Hayek (ainsi interprété) peut donc être posé et résolu. D’abord, on
mesure le coût des défauts de coordination propres à l’ordre spontané, en comparant avec le résultat



13 Pour obtenir cette expression, noter que P(T*(c*) ≥ T(C)) = P(c* ≥ C) = 1 – F(C) et que {c* / T*(c*) <


T(C)} = {c* / 0 ≤ c* < C}.
14 Pour être précis, l’ordre construit garantit l’efficacité ex post tant que I U I* = {v,c,c*}, peu importe


comment cette information se répartit initialement ; l’écart commis dans les autres cas est techniquement
inévitable de toute façon


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correspondant de l’ordre construit. Ensuite, on lui oppose le coût de la communication. Enfin, on
conclut sur la part respective des ordres spontanés et construits.


Exemple : pour illustrer la méthode esquissée ci-dessus, revenons au jeu 1 (a). Supposons que I =
{v,c} et I* = {v,c*}. La solution du jeu est simple (simpliste, eu égard aux précautions du paragraphe
précédent) : quand son tour vient, l’Etat joue J (intervient) si v > c*, P sinon ; le marché, jouant en
premier, anticipe donc un gain w ≡ ∫ x ∈ C* max(v – x,0) dF*(x) s’il laisse la main à l’Etat ; sachant cela,
il joue J si v – c > w, P sinon. La figure ci-dessous situe les zones où un défaut de coordination se
produit dans le plan (c,c*), pour les stratégies d’équilibre vues à l’instant (comparée avec la figure 1).
En se déplaçant depuis l’origine vers le nord-est, trois zones sont représentées en ombré. Dans la
première, le marché intervient à tort, l’Etat faisant mieux ; le surcoût est c – c*. Dans la deuxième,
l’Etat intervient alors que le marché serait plus efficace ; ceci représente un surcoût c* – c. Dans la
troisième, ni le marché ni l’Etat n’interviennent, alors que le marché aurait intérêt à le faire ; la perte
vaut v – c. Pour évaluer ex ante le coût social d’un tel ordre spontané (par rapport à l’ordre construit,
où les règles a. et b. seraient respectées après communication, puisque I U I* = {v,c,c*}), il reste à
pondérer la perte en chaque point des trois zones définies par sa masse de probabilité, i.e. f(c) x f*(c*)
(rappelons que v est supposé connu). On obtient une mesure Δ. En lui opposant le coût de la
communication, on en vient à décider s’il suffit de s’en remettre aux stratégies spontanées des acteurs
ou s’il vaut mieux employer une procédure centralisée.


Figure 2 : Défauts de coordination dans l’exemple



Notre adaptation de l’intuition de Hayek est inachevée tant que l’on ne spécifie pas le coût de la


communication. Ce choix n’est pas neutre. En effet, dans le cas d’un coût unitaire constant (l’unité
étant la transaction), la frontière optimale entre l’ordre spontané et l’ordre construit se situe à l’une ou
l’autre extrémité : soit il n’y a aucun centre actif, en ce sens qu’il n’est jamais justifié de communiquer
(lorsque Δ est plus petit que le coût de la communication), soit le centre traite et affecte toutes les
transactions (dans le cas contraire).


Hayek aboutit à une conclusion différente. Il pense que le système économique est trop complexe
pour pouvoir être appréhendé et organisé par l’esprit, dont les capacités sont limitées. Ceci élimine la
possibilité d’une prise en charge de toute l’information par un centre. Formaliser cette idée revient à
supposer que la fonction de coût marginal de collecte et de traitement de l’information φ(N), où N est
le nombre de transactions traitées, vérifie les conditions φ(0) ≥ 0, φ(∞) = ∞ et φ’(N) ≥ 0. Alors, on
détermine la frontière optimale entre les deux modes de coordination au point N* défini par φ(N*) = Δ
(en supposant une solution intérieure) 15.



15 Cette proposition soulève une objection : si la collecte d’information par un centre unique connaît des


phénomènes d’encombrement, ceux-ci seraient atténués si la tâche était confiée à plusieurs centres. Pour traiter
correctement ce problème, il faudrait engager des recherches plus précises sur les propriétés des coûts de collecte
d’information et de leur agrégation, sur les défauts de coordination (qui réapparaissent !) lorsque les centres
traitent et utilisent leur base de données sans concertation, etc. Cette piste ouvrirait peut-être la voie à quelques
résultats sur la question de la décentralisation…


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La frontière quantitative N* ainsi définie peut laisser quelque peu insatisfait. Les économistes ont
coutume de croire en l’existence de domaines « réservés », c’est-à-dire en une priorité légitime (du
point de vue de l’efficacité) du marché sur certaines transactions, de l’Etat sur d’autres. Ceci suggère
que la frontière recherchée aurait aussi une dimension qualitative. Pour rendre notre modèle
compatible avec cette idée et approfondir ce qu’elle recouvre, il faut abandonner l’hypothèse
d’homogénéité des transactions. Analytiquement, les transactions diffèrent, notamment, à raison de la
rivalité, de la capacité d’exclusion, de la durée, de l’irréversibilité, du nombre de participants, etc.
Supposons donc que toute transaction puisse être classée dans une liste comprenant m types, indicés i
= 1,2,…,m, obtenus en recoupant toutes les caractéristiques pertinentes (celles évoquées ci-dessus et
d’autres éventuellement). Le type auquel appartient la transaction conditionne les coûts de transaction
et/ou les coûts d’administration. Un moyen de traduire cette idée est d’utiliser les distributions
marginales F(c,i) et F*(c*,i) (les densités associées se notent f(c,i) et f*(c*,i)) 16. A priori,
l’hétérogénéité des transactions, si elle est constatée par les agents (ce que l’on peut supposer),
modifie potentiellement les comportements, pour de multiples raisons : les réputations mutuelles, la
connaissance des distributions (ou les croyances sur celles-ci) pour chaque type i, etc. Pour en tenir
compte, on doit admettre que les stratégies p et p* se déforment aussi avec le type de la transaction.
Finalement, dans ce cadre élargi et en appliquant la même méthode que celle vue précédemment, on
détermine un coût de l’ordre spontané Δi différent pour chaque type i de transaction. Théoriquement, il
émerge deux classes de transaction : toutes les transactions de type i, avec Δi ≤ φ(N*), relèvent de
l’ordre spontané ; les autres relèvent de l’ordre construit.


d) Pigou, Coase et après…


Pour finir, on peut tenter de rattacher ces classifications à Pigou et à Coase. En revenant au jeu 1
(a) et (b), imaginons un instant que, pour un type de transaction i quelconque, les supports des deux
distributions f(c,i) et f*(c*,i) ne se recoupent pas ; autrement dit, quels que soient x et y tels que f(x,i)
> 0 et f*(y,i) > 0, on a x > y (resp. x < y). En pareil cas, il n’y a aucune incertitude quant à celui qui
doit prendre en charge la transaction. L’ordre spontané doit être parfaitement efficace, sous des
conditions informationnelles faibles, comme l’indique la proposition 3.


Proposition 3 : si la transaction appartient au type i, si cette caractéristique est observable, si les
distributions f(c,i) et f*(c*,i) sont connaissance commune et vérifient la propriété x > y (resp. x < y),
pour tout x et y tel que f(x,i) > 0 et f*(y,i) > 0, une condition nécessaire et suffisante pour que
l’équilibre des jeux 1 (a) et (b) soit efficace ex post quel que soit l’état du monde est que l’Etat (resp.
le marché) connaisse la valeur de la transaction et son coût d’organisation, i.e. I* = {v,c*} (resp. I =
{v,c}).


Preuve :


La démonstration considère le cas où x > y, pour tous x et y tels que f(x,i) > 0 et f*(y,i) > 0 (l’Etat
est toujours plus efficace). Le cas symétrique procède de la même façon. On utilise à nouveau le
lemme exposé dans la preuve de la proposition 1, qui dit que, sauf contraintes informationnelles, les
joueurs appliquent le seul couple de stratégies (« J si v > c et c < c*, P sinon » pour le marché et « J si
v > c* et c* < c, P sinon » pour l’Etat) qui concrétise l’allocation efficace pour tout état du monde.


Jeu 1 (a) : supposons que le marché joue en premier. Les joueurs observent le type i de la
transaction et en déduisent que c > c*. Le marché dispose donc d’emblée d’une information suffisante
pour appliquer sa stratégie « J si v > c et c < c*, P sinon » : il passe la main à l’Etat. A son tour, l’Etat
applique sa stratégie sans faute s’il est capable de classer v et c* dans tous les états du monde (cela
suffit puisqu’il observe le type i). Comme la stratégie du marché est indépendante de l’état du monde,
la seule information dont il dispose est I*. Il faut donc que I* = {v,c*}.


Jeu 1 (b) : supposons que l’Etat joue en premier. Les joueurs observent le type i et en déduisent
que c > c*. Pour que l’Etat puisse appliquer sa stratégie « J si v > c* et c* < c, P sinon », il faut donc
que I* = {v,c*}. L’observation du type i est une information suffisante pour le marché.



16 Les notations F(c) et F*(c*), utilisées précédemment, correspondent donc à F(c,-) et F*(c*,-).


14




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Pour les transactions prises en compte dans la proposition 3, il s’ensuit que Δi = 0 < φ(N*). On
conclut alors trivialement qu’il est parfaitement légitime que l’Etat (resp. le marché) s’occupe
d’organiser la transaction, sans même consulter l’autre joueur, s’en remettant ainsi à un ordre
spontané. De telles croyances sont implicites dans l’économie du bien-être. Pensons aux biens privés,
aux biens publics purs, aux externalités, aux biens produits suivant des technologies non convexes,
pour lesquels l’économie du bien-être prétend qu’il existe une organisation désignée et une seule, i.e.
jugée systématiquement plus efficace (ce que nous traduisons par des supports de probabilité sans
intersection) et reconnue telle par tous.


La question de savoir si les critères théoriques retenus par l’économie du bien-être (rivalité,
exclusion, externalité, etc.) suffisent pour caractériser des types de transactions possédant les
propriétés supposées dans la proposition 3 est empirique. Coase, et c’est l’essence même de sa critique
des recommandations de Pigou, pense le contraire. Il ne nie pas que l’Etat puisse avoir l’avantage en
moyenne en matière d’externalité, par exemple ; formellement, en définissant le type i = externalité,
ceci revient à admettre que ∫ x ∈ C* x f*(x,i) dx < ∫ x ∈ C x f(x,i) dx est possible. Par contre, il met en
garde contre la croyance selon laquelle il n’existerait jamais d’exception ; formellement, ceci revient à
affirmer qu’il existe au moins un couple x et y tel que f(x,i) > 0 et f*(y,i) > 0, avec x < y.


Si Coase a raison (et il donne suffisamment d’exemples pour lui accorder foi), l’ordre spontané
suscité par les croyances erronées de l’économie du bien-être et les recommandations qui s’ensuivent,
à savoir l’intervention systématique de l’Etat en matière d’externalité (quand v > c*), a un coût Δi
strictement positif. Autrement dit, il arrive que l’Etat intervienne en lieu et place du marché. Coase
suggère donc de remettre en cause l’ordre établi et d’être plus attentif aux performances du marché.


Notre méthode permet d’aller un peu plus loin dans les recommandations. Une première question
à laquelle il faut répondre est la suivante : le coût de l’ordre établi est-il si grand qu’il justifie un
traitement au cas pas cas de toutes les situations d’externalité ? La réponse est positive si Δi > φ(N*).
Si tel est le cas, avant toute intervention, l’Etat doit s’enquérir des solutions organisationnelles
concurrentes et vérifier qu’elles sont moins bonnes que la sienne. Ceci fait, il économise le coût de
l’ordre spontané Δi mais supporte le coût de la collecte des informations φ(N*). En étant prudent, je
crois que c’est la suggestion que donne implicitement Coase (1960).


Mais ce n’est pas la seule voie possible et une seconde question se pose : l’ordre établi n’est-il pas
susceptible d’amélioration ? Bien que cela nous fasse sortir du cadre posé ci-dessus pour esquisser un
modèle plus large, nous devons admettre que les croyances f(x,i) et f*(x,i), supposée données ci-
dessus, sont en fait l’aboutissement d’un processus informationnel complexe, mettant en relation les
agents avec la Nature et les agents entre eux. Ceci ouvre deux possibilités.


D’abord, à typologie i = 1,2,…,m inchangée, les croyances des agents, approximatives au départ,
peuvent converger vers les distributions vraies. D’une certaine manière, les travaux et les découvertes
de Coase procèdent ainsi. Par l’analyse minutieuse de quelques cas choisis, Coase a approfondi notre
connaissance des performances relatives du marché et de l’Etat au sujet des externalités. L’inertie des
comportements a beau être forte, il ne fait pas de doute que ses recherches ont ou auront un impact sur
l’ordre établi (notamment la stratégie des gouvernements). En généralisant, les agents et,
principalement, l’Etat peuvent réaliser des « épreuves » (Arrow) pour corriger leurs croyances et
adapter leurs stratégies progressivement. Au terme de ce processus, l’ordre spontané ne peut que
s’améliorer.


Ensuite, la typologie des transactions peut être élargie et affinée en intégrant d’autres critères
pertinents. Dans le domaine de l’économie industrielle, c’est la voie qu’a suivie Williamson (même si
l’optique est différente, i.e. plutôt descriptive). En ajoutant aux critères théoriques de l’économie du
bien-être d’autres dimensions, comme par exemple le nombre d’agents, de degré d’irréversibilité, etc.,
et en étudiant leur impact (théorique et/ou empirique) sur les coûts de transaction et d’administration,
il y a là aussi matière à améliorer l’ordre établi.


Pour conclure, il convient de mettre en concurrence les deux approches (communication
systématique / ordre construit contre épreuves aléatoires / ordre spontané). En termes de résultat, la
communication et le traitement au cas par cas des transactions sont évidemment imbattables. En


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comparaison, l’ordre spontané, même dans la meilleure des hypothèses où les distributions vraies
seraient connues de tous sur un éventail très large de types de transactions, impliquera toujours un
coût. C’est dans le domaine des coûts que l’amélioration des connaissances et de l’ordre spontané tire
son avantage, puisqu’il substitue une communication occasionnelle à une communication
systématique.


4) Coordination et défaut de rationalité collective :


L’idée suivant laquelle le marché agit de façon rationnelle doit être discutée. Elle soulève deux
difficultés. D’abord, parler de rationalité à propos d’un groupe est un abus de langage ; seuls ses
membres peuvent être dits rationnels. Olson (1966) est l’un des premiers à formaliser rigoureusement
cette question, au moyen des concepts de bien public et de passager clandestin 17. Ensuite, avant toute
transaction, seuls existent des individus isolés qui, précisément, cherchent à constituer un groupe
capable de promouvoir leurs intérêts individuels. Ainsi, comme le rappelle Hayek (1994, p. 125) :


« l’action collective sur fond d’accord mutuel suppose une situation où des efforts antérieurs ont
déjà créé une communauté de vues, où l’opinion concernant ce qui est souhaitable est établie, et
où le problème est de choisir entre des possibilités déjà connues. » ;


« Des efforts organisés doivent donc forcément être initiés par un petit nombre d’individus
ayant des ressources propres nécessaires, ou capables d’obtenir l’appui de ceux qui en ont ».


En d’autres termes, les coûts de transaction se réalisent avant, en même temps et après l’accord
sur les moyens à mettre en œuvre et la transaction qui s’ensuit. Ce fait est négligé par l’économie néo-
institutionnelle, sûrement parce qu’il est de moindre importance dans une relation bilatérale et des
transactions répétées, qui est son champ d’investigation privilégié (cf. Williamson). Mais il est crucial
en ce qui concerne les projets collectifs, en cela qu’il aboutit à un cercle vicieux : en vue de produire
un bénéfice collectif (correction d’une externalité, fourniture d’un bien public, etc.), certains doivent
prendre l’initiative et, donc, supporter une part plus importante des coûts de transaction totaux. Nous
proposons ci-dessous une formalisation de ce problème.


La chronologie d’une transaction est décrite par la figure ci-dessous. Initialement (au début de
l’étape 1), les individus sont isolés. Dans un premier temps (au cours de la première étape), avant tout
espoir de réaliser un échange, ils doivent se coaliser. A cette fin, certains individus (au moins un) doit
prendre l’initiative du contact avec les autres, d’une réunion, etc. Les ressources engagées par chaque
initiateur dans cette activité seront appelées ci-dessous coût d’initiative et notées a. Ensuite, au cours
de la seconde étape, le groupe ainsi formé peut organiser le marchandage, jusqu’à résolution. La
valeur nette créée au cours de cette phase est la différence entre l’évaluation de la transaction, notée v,
et le coût de transaction (i.e. de résolution du marchandage), noté c.


Figure 3 : Chronologie de la transaction


----------|------------------------------|----------> temps
Etape 1 Etape 2


Acteurs : n individus isolés 1 groupe de n membres
Actions : Initiatives Marchandage
Dépenses : Coûts d’initiative Coûts de transaction


Les économistes fusionnent habituellement ces étapes en une seule. Implicitement, cela implique
qu’ils conçoivent l’action individuelle et en groupe sur un même plan ; la différence serait de degré,
pas de nature. Ainsi affirmera-t-on, par exemple, que l’action en groupe mobilise des coûts de
transaction plus importants (peut-être même plus que proportionnels à la taille du groupe),



17 Dans notre formalisation, le comportement des individus au sein des groupes est implicitement pris en


compte dans les paramètres v et c. Le fait que le groupe concrétise la transaction chaque fois que v > c ne
signifie pas qu’il agit de façon rationnel. En effet, une partie des coûts de transaction dépensés provient
précisément des moyens mis en œuvre pour combattre les comportements opportunistes (notamment, les
mécanismes d’exclusion pour éviter les passager clandestins). Notre formalisation est donc compatible avec
l’analyse de Olson (1966).


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reconnaissant par là qu’il faut regrouper tout le monde, combattre les comportements opportunistes,
etc. Cette affirmation est manifestement exacte, mais elle manque une partie. En reprenant le schéma
de décomposition ci-dessus, on voit que cette vision traite de façon homogène et agrège des coûts
d’origine différente. Pour reprendre nos notations, elle définit un coût de transaction total comme la
somme ex post des coûts d’initiative individuelle a et des coûts de transaction c. Or, il existe une
différence de nature entre ces deux coûts ; la dépense des coûts d’initiative est décidée de façon isolée
par les individus, sans concertation, tandis que la dépense des coûts de transaction, en tant que partie
intégrante du processus de négociation au sein du groupe, est faite de façon coordonnée. En fin de
compte, la représentation en une unique étape fausse la réalité du processus de marchandage.
L’initiative, relevant de décisions isolées et indépendantes, risque d’être à la fois insuffisante et
redondante. La conséquence est que les coûts de transaction agrégées, i.e. la somme de a et de c, sont
partiellement contaminés par des comportements individuels spontanés et deviennent imprévisibles.


a) Un jeu d’initiative


Le jeu suivant modélise l’étape de l’initiative. Il y a n individus isolés (incapables de
communiquer). Chacun peut provoquer la transaction en jouant I ou attendre qu’un autre s’en charge à
sa place en jouant A. La transaction est organisée à la seconde étape si et seulement si un individu au
moins a pris l’initiative. Le coût de l’initiative individuelle est égal à a. Pour simplifier, supposons que
la valeur du projet v est égale à 1 et que les coûts de transaction c de la seconde étape sont nuls.


Jeu 3


Autres joueurs


I A


I 1/n – a 1/n – a


Jo
ue


ur
1




A 1/n 0


Légende : A : attendre, I : initier


Commençons par décrire l’équilibre de ce jeu en stratégies pures. Si a > 1/n, l’équilibre est unique
et consiste à ne jamais prendre l’initiative du projet. Si 0 < a ≤ 1/n, ils existent n équilibres de Nash en
stratégie pure, où un joueur se dévoue pendant que les autres attendent. Cette multiplicité d’équilibres
pose un problème dans la mesure où, d’une part, les joueurs ne communiquent pas et où, d’autre part,
le joueur qui prend l’initiative, à l’équilibre, préfèrerait permuter les rôles.


Ceci justifie d’étudier l’équilibre du jeu en stratégies mixtes symétriques. A l’équilibre, chaque
joueur joue les deux stratégies avec une probabilité strictement positive. Soit p la probabilité
d’équilibre de jouer I. Le joueur 1 gagne 1/n – a de manière certaine s’il joue I, 1/n avec une
probabilité 1 – (1 – p)n–1 et 0 avec une probabilité (1 – p)n–1 s’il joue A. Le joueur 1 (et, par symétrie,
les autres joueurs) joue les deux stratégies avec une probabilité positive à l’équilibre à condition que
ces deux gains soient égaux, soit 1/n – a = [1 – (1 – p)n–1] / n, ce qui détermine p = 1 – (a n)1/(n–1) si 0 <
a ≤ 1/n et p = 0 sinon.


Les conclusions qui se dégagent sont les suivantes :
a) quel que soit le concept d’équilibre retenu, la transaction n’a pas lieu si a > 1/n, alors que le


groupe peut obtenir un surplus net positif tant que a ≤ 1 ;
b) les individus prennent des initiatives si a ≤ 1/n et :


i) en stratégie pure : la transaction a lieu de manière certaine et sans gaspillage (le coût
d’initiative n’est dépensée qu’une fois),


ii) en stratégie mixte : la transaction a lieu avec une probabilité 1 – (a n)n/(n–1) ; en moyenne, le
coût d’initiative est dépensé n (1 – (a n)1/(n–1)) fois.


L’action en groupe souffre en fait deux défauts, à savoir une prise d’initiative individuelle à la
fois insuffisante et excessive : insuffisante parce que là où l’efficacité exigerait que la transaction se
fasse de façon certaine, le groupe ne l’impulse pas du tout (si 1/n < a ≤ 1) ou avec une probabilité
inférieure à 1 (en stratégie mixte avec a ≤ 1/n) ; excessive parce que, en stratégie mixte, les initiateurs


17




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ne se coordonnent pas et risquent de dépenser plusieurs fois le coût d’initiative, en pure perte dans la
mesure où une fois suffit.


b) Initiative privée et intervention publique


En reprenant et en aménageant le schéma ci-dessus, on conçoit que l’Etat peut intervenir avant
l’étape 1 ou après l’étape 2, selon la priorité qu’il entend donner à la résolution par le marché et les
résultats qu’il en attend :


Figure 4 : Chronologie de l’intervention de l’Etat


----------|--------------------|--------------------|--------------------|----------> temps
Intervention Etape 1 Etape 2 Intervention
ex ante ex post


S’il agit ex ante, l’Etat gèle toute initiative, en en supprimant le motif. S’il intervient ex post, le jeu 3
est modifié. Notons ρ* la probabilité anticipée par le marché d’une intervention après l’étape 2.
Supposons que l’Etat se finance en levant un impôt c*/n sur chaque individu et que c* < 1, de sorte
que l’intervention de l’Etat peut se justifier le cas échéant. La matrice des gains s’écrit de la façon
suivante (on conserve l’hypothèse simplificatrice c = 0) :


Jeu 4


Autres joueurs


I A


I 1/n – a 1/n – a


Jo
ue


ur
1




A 1/n ρ* (1 – c*) / n


Légende : A : attendre, I : initier


En stratégie pure, si ρ* (1 – c*) / n > 1/n – a, l’équilibre consiste à jouer A en stratégie
dominante. Sinon, l’équilibre suppose qu’un joueur prenne l’initiative pendant que les autres le
laissent faire. En stratégie mixte symétrique, en notant p la probabilité de jouer I à l’équilibre, le
joueur 1 gagne 1/n – a de façon certaine s’il joue I, 1/n avec une probabilité 1 – (1 – p)n–1 et ρ* (1 – c*)
/ n avec la probabilité complémentaire (1 – p)n–1 s’il joue A, soit [1 – (1 – p)n–1 (1 – ρ* (1 – c*)] / n. Le
joueur 1 joue chaque stratégie avec une probabilité positive si 1/n – a = [1 – (1 – p)n–1 (1 – ρ* (1 – c*)]
/ n, ce qui définit p = 1 – [n a / (1 – ρ* (1 – c*))]1/(n–1) si ρ* (1 – c*) / n ≤ 1/n – a et p = 0 sinon 18.


Le tableau ci-dessous décrit la sensibilité de l’équilibre en stratégie mixte aux différents
paramètres du modèle dans le cas d’une solution intérieure. Les résultats sont toujours intuitifs.


Tableau 1 : Statique comparative


da dρ* dc* dn


dp – – + –


Preuve :


On part de ln(1 – p) = [ln(n a) – ln(1 – ρ* (1 – c*))] / (n – 1). Après dérivation, il vient :



18 Le gain attendu de l’action A croît avec p, puisque 1/n > ρ* (1 – c*) / n (on a : d/dp [1 – (1 – p)n–1 (1 – ρ*


(1 – c*)] / n = (n – 1) (1 – p)n–2 (1 – ρ* (1 – c*) / n ≥ 0). On a donc : p = 0 si 1/n – a < [1 – (1 – p)n–1 (1 – ρ* (1 –
c*)] / n, quel que soit 0 ≤ p ≤ 1, soit (le terme de droite de l’inégalité étant minimum pour p = 0) si 1/n – a < ρ*
(1 – c*) / n ; p = 1 si 1/n – a > [1 – (1 – p)n–1 (1 – ρ* (1 – c*)] / n, quel que soit 0 ≤ p ≤ 1, soit (le terme de droite
de l’inégalité étant maximum pour p = 1) si 1/n – a > 1 / n, ce qui est impossible ; p = 1 – [n a / (1 – ρ* (1 –
c*))]1/(n–1) sinon (donc si 1/n – a ≥ ρ* (1 – c*) / n). Notons que l’on retrouve l’équilibre du jeu précédent comme
cas particulier de ce jeu quand ρ* (1 – c*) / n = 0.


18




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dp/da = – (1 – p) / (a (n – 1)),


dp/dρ* = – (1 – p) (1 – c*) / [(1 – ρ* (1 – c*)) (n – 1)],


dp/dc* = (1 – p) ρ* / [(1 – ρ* (1 – c*)) (n – 1)],


dp/dn = (1 – p) [ln(1 – p) – 1/n] / (n – 1).


Le comportement des individus et l’équilibre du jeu déterminent le bien-être social W avant le jeu
d’initiative. Soit p* la probabilité vraie que le gouvernement intervienne ex post. Nous pouvons établir
la proposition suivante.


Proposition 4 : Le bien-être social à l’équilibre du jeu 4 vaut :


- en stratégie pure :


p* (1 – c*) si 1/n – a < ρ* (1 – c*) / n
W = { 1 – a sinon


- en stratégie mixte symétrique :


p* (1 – c*) si 1/n – a < ρ* (1 – c*) / n
W = { 1 – n a + P (p* – ρ*) (1 – c*) sinon


où P = (1 – p)n = [n a / (1 – ρ* (1 – c*))]n/(n–1) donne la probabilité d’un échec du marché (c’est-à-dire
qu’aucune initiative ne soit prise).


Preuve :


L’expression générale du bien-être social est donnée par :


W = Σk∈[1,n] Ckn–k pk (1 – p)n–k (1 – k a) + (1 – p)n p* (1 – c*)


= (1 – (1 – p)n) – n p a + (1 – p)n p* (1 – c*).


Les deux premiers termes tirent les conséquences attendues d’une résolution de la transaction par le
marché. Elle a lieu avec une probabilité égale à (1 – (1 – p)n) et produit un surplus égal à 1. En cas de
prise en charge par le marché, les coûts d’initiative totaux engagés sont égaux en moyenne à n p a. Le
dernier terme considère le cas où le gouvernement reprend la main après l’étape 2, c’est-à-dire dans
l’hypothèse d’un échec du marché. Le gain correspondant est 1 – c* avec une probabilité (1 – p)n p*.


Si 1/n – a < ρ* (1 – c*) / n, alors p = 0 et on déduit immédiatement W = p* (1 – c*). Sinon, la
probabilité de jouer I à l’équilibre vérifie l’égalité 1/n – a = [1 – (1 – p)n–1] / n + (1 – p)n–1 ρ* (1 – c*) /
n. En multipliant chaque membre par (1 – p) n et en arrangeant, il vient : (1 – (1 – p)n) – n p a = 1 – n a
– (1 – p)n ρ* (1 – c*). En substituant dans l’expression de W, on obtient finalement W = 1 – n a + (1 –
p)n (p* – ρ*) (1 – c*). En substituant la valeur de P, on obtient directement le résultat annoncé.


c) Le rôle de la réputation


Tirons les implications de la proposition 4 pour la politique de l’Etat, sous l’hypothèse qu’il laisse
la priorité au marché et donc, n’intervient qu’ex post (après l’étape 2).


L’Etat dispose a priori des instruments p* et ρ*. Le premier caractérise sa stratégie, le second sa
réputation. Sachant que ρ* était définie ci-dessus comme la probabilité anticipée par le marché d’une
intervention ex post, le fait de la considérer désormais comme un instrument de politique économique
peut sembler curieux, sinon falsificateur. Cela revient apparemment à supposer, d’une part, que les
agents ne prévoient pas la stratégie de l’Etat (pourtant limpide) et, d’autre part, que l’Etat sait
manipuler le processus par lequel les agents forment leurs anticipations. Une telle hypothèse entre
clairement en conflit avec les notions d’équilibre parfait en sous-jeux et d’anticipation rationnelle (qui
impliquent ρ* = p*, avec p* la stratégie optimale de l’Etat, unique et simple !). Cette critique est
parfaitement fondée et nous l’intégrerons finalement. Mais, en première analyse, nous l’ignorons afin
de mettre en évidence l’incitation de l’Etat à agir sur sa réputation pour améliorer le bien-être social.
Sous-entendu, si une telle tentation existe, il y a lieu de croire que, dans le monde réel où sa stratégie


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n’est pas prévisible avec certitude, l’Etat pourra mettre en œuvre les moyens nécessaires pour façonner
sa réputation et manipuler les croyances dans le sens indiqué (imaginons un jeu répété dans lequel
l’Etat dispose d’informations privées).


Sous l’hypothèse c* < 1, la stratégie optimale de l’Etat est d’intervenir ex post si le marché n’a
rien fait. On fixe donc p* = 1. Ceci dit, nous pouvons analyser l’effet des anticipations ρ* sur le
comportement du marché et sur le bien-être final, en distinguant les équilibres en stratégie pur et mixte
d’une part, les solutions en coin et intérieure d’autre part. L’exercice est fastidieux en raison du
nombre de cas de figure possibles.


Notons pour commencer que, pour tous a, c* et n, il existe une valeur limite L = (1 – n a) / (1 –
c*) telle que si ρ* > L, le marché laisse la main à l’Etat et si ρ* ≤ L, il prend des initiatives avec une
probabilité positive 19. Sachant que ρ* a valeur de probabilité, on doit distinguer les cas où L < 0, 0 ≤
L ≤ 1 et L > 1. Le premier, qui survient quand a > 1/n, implique que le marché ne prend jamais
d’initiative, même s’il n’a aucun espoir d’une intervention de l’Etat, car le gain individuel 1/n ne
couvre pas le coût d’initiative a. Dans le second, qui nécessite que l’on ait n a ≥ c* et a ≤ 1/n, la
réputation de l’Etat joue un rôle marqué, dans la mesure où, pour ρ* suffisamment grand (i.e. ρ* > L),
le marché cesse toute initiative et s’en remet totalement à l’Etat. Dans le dernier, quand a < n a < c* et
a ≤ 1/n, la réputation de l’Etat a une incidence moindre, en ce sens que les joueurs entreprennent
toujours quelque chose. Ceci se comprend aisément, sachant que l’inégalité n a < c* signifie que le
marché est plus efficace que l’Etat, même dans l’hypothèse la plus défavorable où tous les joueurs
prennent l’initiative simultanément (en pure perte).


Ayant étudié les modifications des stratégies en fonction du paramètre ρ*, il nous reste à en
déduire celles du bien-être W. On sait que W prend la valeur 1 – c* quand ρ* > L, 1 – a ou 1 – n a + P
(1 – ρ*) (1 – c*) quand ρ* ≤ L, selon que les initiatives sont coordonnées (équilibre en stratégies
pures) ou non (équilibre en stratégie mixte), respectivement. Avant d’aller plus loin, recensons les
propriétés caractéristiques de l’expression du bien-être social W pour ρ* < L en stratégie mixte ; après
substitution de P, elle s’écrit W = 1 – n a + [n a / (1 – ρ* (1 – c*))]n/(n–1) (1 – ρ*) (1 – c*). On montre
que :


pour ρ* = 0, W = 1 – na + (na) n/(n–1) (1 – c*) > 1 – n a,


pour ρ* = 1, W = 1 – n a,


pour ρ* = L, W = 1 – c*,


dW/dρ* = B (M – ρ*),


où B = P (1 – c*)2 / [(n – 1) (1 – ρ* (1 – c*)] > 0 et M = (1 – n c*) / (1 – c*) < 1.


Sachant que B > 0, la dérivée de W par rapport à ρ* est positive tant que ρ* ≤ M, négative
ensuite. La réputation détermine donc le bien-être social. L’expression de W est d’abord croissante
avec ρ*, jusqu’au point M où elle atteint un maximum global, décroissante ensuite. Pour
l’interprétation, étant donné que ρ* désigne une probabilité, il faut veiller à distinguer le cas M < 0,
qui survient quand c* > 1/n, du cas 0 ≤ M < 1, qui se rencontre quand c* ≤ 1/n. Dans le premier, le
bien-être social est, sur l’intervalle pertinent pour ρ*, monotone décroissant. Dans l’autre cas, il est
d’abord croissant, puis décroissant. En utilisant le fait que W = 1 – c* pour ρ* = L et qu’il est
maximum en ρ* = M, on déduit que W ≥ 1 – c* au voisinage de M.


Ces différents résultats sont repris sous forme graphique ci-dessous, pour tous les ordres possibles
de a, c* et n a : H1) c* < a < n a ; H2) a < c* < n a ; H3) a < na < c*. Nous avons utilisé les
conventions suivantes. Le bien-être W prend les valeurs : si ρ* ≤ L, 1 – a en stratégie pure ou 1 – n a +
P (1 – ρ*) (1 – c*) en stratégie mixte (courbes en cloche) ; si ρ* > L, 1 – c* quel que soit le concept
d’équilibre retenu. Chacune de ces valeurs est représentée en traits pleins tant qu’elle est



19 On sait que p = 0 si 1 – na < ρ* (1 – c*) et p = 1 – [n a / (1 – ρ* (1 – c*))]1/(n–1) sinon. En substituant, on


obtient p = 0 si L < ρ* et p = 1 – [n a / (1 – ρ* (1 – c*))]1/(n–1) sinon.


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stratégiquement accessible, compte tenu de l’abscisse ρ*. Elle se poursuit en traits discontinus quand
la valeur de ρ* la rend inaccessible. Sachant que les seuils L et M peuvent être inférieurs à zéro
(respectivement quand a > 1/n et c* > 1/n), le point d’intersection des deux axes ne correspond pas
nécessairement au point d’origine, mais peut, selon le cas, avoir une abscisse négative (cette
convention a pour but uniquement de réduire le nombre de graphiques nécessaires pour être exhaustif).


Figure 5 – Réputation, stratégie et bien-être social



Passons maintenant à l’interprétation. Avec l’hypothèse H1, l’initiative du marché, qu’elle soit


coordonnée (stratégie pure) ou non (stratégie mixte), est toujours préférable à un règlement par l’Etat.
Qui plus est, elle est active pour toute valeur de ρ* (trait continu). L’hypothèse H3 est l’opposé de H1.
Désormais, l’Etat fait toujours mieux que le marché. Mais, cette propriété ne suffit pas pour assurer
que le marché n’entreprendra rien. Il faut encore qu’il soit confiant dans son intervention ex post, ce
que l’on traduit par ρ* ≥ L. Sinon (i.e. ρ* < L), il préfère prendre des initiatives, pour s’assurer un
bien-être minimum, même si cela s’avère coûteux ex post. L’hypothèse H2 est la plus intéressante.
Dans ce cas, le marché fait mieux que l’Etat s’il parvient à coordonner les initiatives, moins bien
sinon. En faisant varier la valeur de ρ* depuis 0 jusqu’à 1, on met en évidence les résultats suivants.
En stratégie pure, seule compte la position de ρ* par rapport au seuil L. Le bien-être social vaut 1 – a
si ρ* < L, contre 1 – c* sinon, ce qui est moins bien. En stratégie mixte, les choses sont un peu plus
compliquées. On retrouve la même dichotomie, mais le bien-être pour ρ* < L peut être plus petit ou
plus grand que 1 – c*. Précisément, pour ρ* très petit, les individus risquent d’engager trop
d’initiatives redondantes, en pure perte. A l’extrême (cf. graphique), cela peut aboutir à un bien-être
inférieur à 1 – c* (on peut conjecturer que cela a d’autant plus de chances d’arriver que a est petit, que
n est grand et que c* est proche de a). A mesure que ρ* augmente jusqu’à M, le bien-être social
s’améliore. La plus grande certitude des individus concernant l’intervention de l’Etat les incite à être
moins entreprenant. Certes, cela a un effet dépressif sur le bien-être (moins d’initiative), mais cela
réduit également les risques de duplication. Au-delà de M, le second effet ne compense plus le
premier, si bien que le bien-être social décline avec ρ*. Ensuite, au-delà de L, le marché cesse toute
initiative et s’en remet à l’action de l’Etat, jugée suffisamment certaine.


Comme annoncé ci-dessus, maintenant que l’effet des anticipations sur le bien-être social nous est
connu, il est temps d’abandonner l’idée suivant laquelle la croyance ρ* fait office de variable
instrumentale. Des agents rationnels comprennent sans peine que l’Etat a intérêt à intervenir de
manière certaine dès que c* < 1. Conformément à ce raisonnement simple, ils devraient donc fixer ρ*
= p* = 1. Alors, en utilisant à nouveau les graphiques ci-dessus, on peut énoncer que le marché n’agira
que dans l’hypothèse H1, qu’il n’entreprendra rien dans les hypothèses H2 et H3, préférant attendre
une solution de l’Etat. Alors que ce fait est salutaire pour les cas H1 et H3, il est potentiellement
dommageable pour le cas H2, où l’efficacité de l’organisation de la transaction par l’Etat est
intermédiaire entre des initiatives privées coordonnées et non coordonnées.


d) Faut-il laisser la priorité au marché ?


Le gouvernement doit choisir le moment opportun pour intervenir. S’il intervient dès l’origine
(i.e. avant l’étape 1), il barre la route à l’initiative individuelle et octroie au groupe, d’autorité, un gain
certain égal à 1 – c*. S’il attend et agit après l’étape 2, le bien-être social dépend des stratégies


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d’initiative adoptées et devient aléatoire (cf. la figure 5). Là encore, il n’y a pas de réponse unique à
cette question.


Si les anticipations des individus sont correctes (i.e. ρ* = p* = 1), le fait d’attendre la réaction du
marché avant d’intervenir ne peut être que profitable. En effet, le bien-être est au pire égal à 1 – c*
(H2 et H3), sinon meilleur (H1).


Si les anticipations des individus sont inexactes (i.e. ρ* < p* = 1), le fait de laisser l’initiative au
marché est risqué (sauf dans l’hypothèse H1). Dans l’hypothèse H2, le bien-être social attendu peut
être inférieur (en stratégie mixte avec ρ* petit), supérieur (en stratégie pure quel que soit ρ* ≤ L et en
stratégie mixte pour ρ* au voisinage de M) ou égal à 1 – c* (pour L < ρ* ≤ 1). Dans l’hypothèses H3,
le bien-être social est inférieur à 1 – c* si ρ* ≤ L.


Ce qu’il faut retenir peut être résumé de la façon suivante. Avec le scénario H1, comme le marché
est de toute façon plus efficace que l’Etat, même si son action est non coordonnée, il est évidemment
bien venu de lui laisser la priorité. Dans l’hypothèse H3, où il est de toute façon moins efficace que
l’Etat, même si son action est coordonnée, non seulement il n’y a aucune raison d’encourager son
initiative, mais en outre cela peut s’avérer néfaste lorsqu’il est enclin à croire que l’Etat n’interviendra
pas avec suffisamment de certitude. Dans l’hypothèse H2, on se trouve dans une situation
intermédiaire où l’on voudrait encourager l’initiative du marché s’il est coordonné, la dissuader ou
l’« instrumentaliser » (en la réglant à l’aide de ρ*) dans le cas contraire.


5) Conclusion :


Cet article ébauche une méthode pour éclairer la question de l’appariement des organisations et
des transactions en général, en mettant l’accent plus particulièrement sur l’opposition entre l’action
privée (marché, marchandage, firme, etc.) et l’intervention publique (réglementation, législation,
fiscalité, etc.). Elle s’inspire directement de l’analyse de Coase (1937, 1960) et prend appui sur les
recommandations qui en découlent. Le travail accompli ici a ceci de particulier qu’il envisage sans a
priori et rigoureusement les implications pratiques des prescriptions en question.


La citation suivante de Arrow (1985 ; trad. 2000, p. 79) peut servir de point de départ pour étayer
cette opinion sans paraphraser le développement :


« A vrai dire, nous supposerons toujours, dans l’esprit néo-classique, qu’un marché
qui peut être créé le sera. Il m’arrive de penser que l’économie du bien-être devrait
être considérée comme une discipline empirique. Implicitement, s’il existe une
possibilité d’amélioration au sens de Pareto, la collectivité fera un effort, à travers une
organisation collective ou non, pour la réaliser. Dans de nombreux cas, la manière la
moins coûteuse, en théorie comme, la plupart du temps, en pratique, est de créer un
marché ; c’est ainsi que les marchés apparaissent. Si, pour une défaillance ou pour une
autre, un marché ne peut se mettre en place, d’autres mécanismes seront probablement
au moins essayés : intervention de l’Etat ; déontologie professionnelle ; organisations
économiques disposant d’un pouvoir intermédiaire entre celui de la firme
concurrentielle et celui de l’Etat. »


Nos investigations ont ceci de commun avec les idées défendues dans ce passage qu’elles
postulent, à l’instar de Coase, que la collectivité tend à éliminer les possibilités d’amélioration du
bien-être au sens de Pareto. Elles s’en démarquent sur quelques aspects. Notamment, sans forcément
remettre en cause l’idée suivant laquelle « dans de nombreux cas, la manière la moins coûteuse […]
est de créer un marché », il semble que cet a priori appauvrit la réflexion, en dispensant de poser
sérieusement la question de la mise en concurrence des organisations ; à quoi bon, en effet, la traiter,
quand elle ne se pose qu’en de rares occasions, c’est-à-dire « si, pour une défaillance ou pour une
autre, un marché ne peut se mettre en place ».


Adopter une attitude plus suspicieuse quant aux performances relatives du marché et des « autres
mécanismes », autrement dit, croire qu’on peut rarement laisser la priorité absolue au marché sans
risquer de se tromper, oblige à imaginer la forme et à s’interroger sur l’existence d’un processus social
capable de les coordonner. Il y a alors deux possibilités (non exclusives). La première est que la


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coordination procède des comportements spontanés des individus, basés sur des croyances (des règles
comme, par exemple, « le marché est généralement moins coûteux, sauf en ce qui concerne les
externalités ») ou sur des stratégies (les agents ayant une certaine connaissance des performances
relatives des différents mécanismes). L’avantage d’un tel processus est qu’il n’est pas, en lui-même,
coûteux. Son inconvénient est que les conditions nécessaires, en termes d’information et de rationalité,
pour qu’il fonctionne efficacement sont si exigeantes, qu’il y a lieu de croire qu’il sera imparfait. La
seconde possibilité est d’organiser la sélection des organisations de façon centralisée (l’Etat étant
désigné d’office pour cette tâche). Les avantages et les inconvénients sont symétriques de la première :
cette solution en élimine les imperfections, mais au prix d’un coût d’organisation possiblement
exorbitant.


Dans le monde réel, la sélection des organisations relève d’un processus intermédiaire, plus
subtil, mais néanmoins malléable. Notre réflexion suggère quelques recommandations de politique
économique. L’objectif central est d’améliorer la coordination spontanée, pour recourir aussi peu que
possible à la coordination centralisée. Le moyen de parvenir à ce résultat est d’améliorer et de diffuser
les connaissances sur les performances relatives des différentes organisations. Arrow dit (1985 ; trad.
2000, p. 79) : « Une question importante, à l’ordre du jour de la recherche de la théorie des biens
publics ou même, plus généralement, de celle de l’allocation des ressources, pourrait être
l’identification des coûts de transaction dans des contextes variés et sous différents systèmes
d’allocation des ressources. » Cette opération permettrait d’identifier des types de transactions :
certaines seraient attribuées d’office à tel ou tel mécanisme, sans faire l’objet d’aucun traitement
particulier ; l’attention des pouvoirs publics pourraient alors se focaliser sur les autres, pour lesquelles
un doute suffisant subsiste, obligeant donc à recourir à une coordination explicite.


Au terme de ces ajustements, le processus de coordination obtenu, bien que meilleur, a peu de
chances d’être exempt de défauts. Idéalement, cela impliquerait soit un ordre spontané dans lequel
toutes les transactions pourraient être attribuées sans erreur à une organisation et une seule, soit un
ordre construit qui prendrait en charge toutes les transactions à un coût raisonnable. Cela devient
même impensable dans un monde en constante évolution, où les performances relatives des
organisations changent sans cesse. De ce fait, il y aurait toujours place pour l’intervention publiques,
confirmant l’inconfort de Arrow lorsqu’il s’avoue tenter de considérer « l’économie du bien-être […]
comme une discipline empirique ».




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Annexe :


Dans les démonstrations, nous adoptons le plus souvent le point de vue du groupe. Nous
recherchons donc les propriétés de T(c) pour T*(c*) quelconque.


A. Montrons d’abord que tout équilibre du jeu est nécessairement symétrique, i.e. T(x) = T*(x)
pour tout x.


A1. Montrons que T(-) et T*(-) sont non décroissantes.


Considérons c < c’. Soient T(c) = t et T(c’) = t’. Par définition de l’équilibre, on a :


u(t,T*(-),c) ≥ u(t’,T*(-),c)


u(t,T*(-),c’) ≤ u(t’,T*(-),c’)


On montre que ce système est équivalent à :


u(t,T*(-),c) – u(t,T*(-),c’) ≥ u(t’,T*(-),c) – u(t’,T*(-),c’)


(e– r t P(T*(-) ≥ t) – e– r t’ P(T*(-) ≥ t’)) (c’ – c) ≥ 0


Comme c < c’, l’inégalité est satisfaite si e– r t P(T*(-) ≥ t) ≥ e– r t’ P(T*(-) ≥ t’), soit si t ≤ t’.


A2. Définissons C(t) = inf{c / T(c) ≥ t)} et C*(t) = inf{c* / T*(c*) ≥ t)}. Montrons que l’équilibre
du jeu doit vérifier C(t) = C*(t).


Supposons le contraire. En toute généralité, posons C(t’) = C*(t) = σ, avec t’ > t. Il est bien
évident qu’entre t et t’, le groupe de type σ attend en pure perte, puisqu’il n’a aucun espoir de voir la
transaction concrétisée de manière plus efficace par le gouvernement :


u(t’,T*(-),σ) – u(t,T*(-),σ) = [e– r t’ (1 – σ) P(T*(-) ≥ t’) + ∫x / T*(x) < t’ e– r T*(x) (1 – x) f*(x) dx]


– [e– r t (1 – σ) P(T*(-) ≥ t) + ∫x / T*(x) < t e– r T*(x) (1 – x) f*(x) dx] (A1)


= (e– r t’ – e– r t) (1 – σ) P(T*(-) ≥ t’) +∫x / t ≤ T*(x) < t’ (e– r T*(x) (1 – x) – e– r t (1 – σ)) f*(x) dx < 0


sachant que t’ > t, et que tous les types c* / t ≤ T*(c*) < t’ sont par hypothèse plus grand que σ.


B. Montrons maintenant que les stratégies d’équilibre T(-) et T*(-) du jeu sont nécessairement
strictement croissantes et continues.


B1. Montrons que T(-) et T*(-) sont continues.


Supposons que T(-) est discontinue en c0 : lim c→c0– T(c) = t’ < t’’ = lim c→c0+ T(c).



Si aucun type du groupe ne joue entre les dates t’ et t’’, le gouvernement, quel que soit son type,
préfère jouer en t’ plutôt qu’à n’importe quelle date entre t’ et t’’. En effet, quels que soient σ et τ
entre t’ et t’’ inclus, on a :


u*(τ,T(-),σ) – u*(t’,T(-),σ) = (e– r τ – e– r t’) (1 – σ) P(T*(-) ≥ t’) < 0.


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On conclut donc que l’Etat n’agit jamais entre t’ et t’’, soit que la meilleure réponse T*(-) est
discontinue (au minimum) sur l’intervalle (t’,t’’].


Le même raisonnement appliqué au groupe de type c0+, censé jouer, par hypothèse, à l’instant t’’,
montre qu’il préfère jouer en t’. En effet, on a u(t’’,T*(-),c0+) – u*(t’,T*(-),c0+) = (e– r t’’ – e– r t’) (1 –
c0+) P(T*(-) ≥ t’) < 0. Cette contradiction implique que les stratégies d’équilibre ne peuvent pas être
discontinues.


B2. Montrons que T(-) et T*(-) sont strictement croissantes.


Supposons le contraire. Alors, on a T(c) = t0 pour tout c entre c’ et c’’ > c’.



Puisque les stratégies d’équilibre sont croissantes au sens faible, on sait que C(t0) = c’ et C(t0 + ε) =
c’’, avec ε = 0+ (cf. ci-dessus pour la définition de C(t) et C*(t)). Puisque C(t) = C*(t) pour tout t, tous
les gouvernements de types σ tels que c’ ≤ σ ≤ c’’ jouent entre l’instant t0 et t0 + ε. Or, on a :


u*(t0 + ε,T(-),σ) – u*(t0,T(-),σ) = e– r to [(e– ε – 1) (1 – σ) P(t0 + ε ≤ T(s))


+ ∫x / to ≤ T(x) < to + ε (e– r (T(x) – to) (1 – x) – (1 – σ)) f(x) dx]


En prenant la limite pour ε tendant vers 0, il vient :


lim ε → 0 u*(t0 + ε,T(-),σ*) – u*(t0,T(-),σ*) = e
– r to ∫c’ ≤ x < c’’ (σ – x) f(x) dx.


Tous les types c* ≥ ∫c’ ≤ x < c’’ x f(x) dx / (F(c’’) – F(c’)) jouent à l’instant t0 ; les autres attendent
l’instant t0 + ε.


Il s’ensuit que la stratégie T(c) ci-dessus ne peut pas être une stratégie d’équilibre. Par exemple,
le groupe de type c’ améliore son score en jouant avant l’instant t0, puisqu’il évite ainsi la réalisation
de la transaction avec une probabilité non négligeable par des gouvernements moins performants que
lui ; de même, le groupe de type c’’ fait mieux en jouant après l’instant t0 + ε.


C. Montrons enfin qu’il n’existe pas de stratégies symétriques T(-) = T*(-) strictement croissantes
et continues solutions du jeu.


C1. Construisons un mécanisme capable de concrétiser les stratégies T(-) et T*(-) quelconques
vérifiant ces propriétés. Notons :


δ(c) = e – r T(c) et δ*(c) = e – r T*(c),


q(c) = δ(c) (1 – F*(c)) et q*(c*) = δ*(c*) (1 – F(c*))


U(c) = (1 – c) q(c) + S(c) et U*(c*) = (1 – c*) q*(c*) + S*(c*)


où S(-) et S*(-) peuvent s’interpréter comme les transferts réclamés par les joueurs pour appliquer leur
stratégie, T(-) et T*(-) respectivement.


Le mécanisme (T(-),T*(-),S(-),S*(-)) est faisable (traduction proposée de implementable) si, pour
tout c, C, c* et C* :


i) il est compatible avec les contraintes d’incitation :


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U(c) ≥ (1 – c) q(C) + S(C)


U*(c*) ≥ (1 – c*) q*(C*) + S*(C*)


ii) il est compatible avec les contraintes de participation :


U(c) ≥ 1 – c


U*(c*) ≥ 1 – c*


Si le mécanisme est compatible avec les contraintes d’incitation, alors :


U(c) = (1 – c) q(c) + S(c) ≥ (1 – c) q(C) + S(C)


et


(1 – C) q(c) + S(c) ≤ (1 – C) q(C) + S(C) = U(C).


Ces inégalités sont équivalentes à :


(C – c) q(c) ≥ U(c) – U(C) ≥ (C – c) q(C)


De là, on déduit que dU(c)/dc = – q(c) et :


U(c) = U(0) – ∫0 ≤ x ≤ c q(x) dx.


L’expression de S(c) découle de ces résultats. En effet, on a : U(c) = (1 – c) q(c) + S(c) = U(0) – ∫0 ≤ x ≤
c q(x) dx, soit :


S(c) = U(0) – (1 – c) q(c) – ∫0 ≤ x ≤ c q(x) dx.


Pour que le mécanisme soit compatible avec les contraintes de participation, il faut et il suffit que
U(0) ≥ 1. En effet, sachant que q(c) ≤ 1, U(c) = U(0) – ∫0 ≤ x ≤ c q(x) dx ≥ U(0) – ∫0 ≤ x ≤ c dx = U(0) – c ≥
1 – c si U(0) ≥ 1.


C2. Montrons maintenant que les transferts sont tels que S(c) > ∫0 ≤ x ≤ c δ*(x) (1 – x) f*(x) dx et
S*(c*) > ∫0 ≤ x ≤ c* δ(x) (1 – x) f(x) dx.


Partant de l’expression de S(c) = U(0) – (1 – c) q(c) – ∫0 ≤ x ≤ c q(x) dx et remarquant que (1 – c)
q(c) = q(0) – ∫0 ≤ x ≤ c q(x) dx + ∫0 ≤ x ≤ c (1 – x) q’(x) dx (en notant que δ(c) est dérivable), on obtient,
après substitution et simplification, S(c) = U(0) – q(0) – ∫0 ≤ x ≤ c (1 – x) q’(x) dx. Sachant que q(c) =
δ(c) (1 – F*(c)), on a q(0) = δ(0) ≤ 1 et q’(c) = δ’(c) (1 – F*(c)) – δ(c) f*(c). En substituant dans
l’expression de S(c), on obtient S(c) ≥ U(0) – 1 – ∫0 ≤ x ≤ c (1 – x) δ’(x) (1 – F*(x)) dx + ∫0 ≤ x ≤ c (1 – x)
δ(x) f*(x) dx > ∫0 ≤ x ≤ c (1 – x) δ(c) f*(c) dx sachant que U(0) ≥ 1 et δ’(c) < 0. On obtient le résultat
annoncé en utilisant le fait que, par hypothèse, δ(x) = δ*(x) pour tout x.


C3. Concluons en remarquant que, pour qu’un couple de stratégies T(-) et T*(-) soit équilibre du
jeu 2, il faudrait pouvoir écrire, pour tout c et c* :


S(c) = ∫0 ≤ x ≤ c δ*(x) (1 – x) f*(x) dx et S*(c*) = ∫0 ≤ x ≤ c* δ(x) (1 – x) f(x) dx.


où l’on reconnaît les seconds membres des fonctions u(T(c),T*(-),c) et u*(T*(c*),T(-),c*)
respectivement. Ils représentent l’avantage intrinsèque que retire chaque joueur du simple fait que
l’autre adopte sa stratégie, δ(-) ou δ*(-).


Autrement dit, si S(-) et S*(-) s’écrivent de cette façon, aucun transfert monétaire au profit des
joueurs n’est nécessaire, ces derniers se contentant des gains mutuels de la coordination. Les stratégie
T(-) et T*(-) peuvent donc être soutenue comme équilibre du jeu. Dans le cas contraire, l’action du
partenaire ne procure pas un avantage suffisant, si bien que le couple de stratégies proposé n’est
acceptable du point de vue des joueurs que si elle s’accompagne d’une compensation adéquate.




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