Michèle Leclerc-Olive Décentralisation et « réforme de l’État...

Michèle Leclerc-Olive Décentralisation et « réforme de l’État...



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Michèle Leclerc-Olive


Décentralisation et « réforme de l’État »,
à l’épreuve des pratiques de coopération


publié dans GEMDEV, Mali-France. Regards sur une histoire partagée, Karthala, 2005.


Résumé


La décentralisation malienne s’est donnée comme objectifs, entre autres, de contribuer au
développement local et à la démocratisation de la vie politique en créant les conditions d’une
participation accrue des populations au processus de décision et à la gestion des affaires
communes. De longue date, la région de Kayes (ainsi que d’autres zones mais à un niveau
moindre de complexité) est le site de multiples actions engagées par des acteurs français :
associations de migrants, ONG, coopération décentralisée, etc.


Comment ces interventions, ces projets s’inscrivent, instrumentalisent, renforcent ou
contrecarrent le processus de décentralisation ? L’objet de cette intervention, élaborée
notamment à partir de l’enquête menée dans le cadre du PRUD (Programme de Recherche
Urbaine pour le Développement) est de proposer quelques outils d’analyse permettant de
comprendre les enjeux de ces situations d’un point de vue de sociologie politique.


Introduction


Les quelques réflexions qui suivent sont le fruit de la convergence entre l’expérience


faite depuis près de 20 ans dans la coopération décentralisée entre des villes françaises et des


communautés maliennes (villages au début, collectivités territoriales ensuite), et mes


recherches sur la démocratie de proximité.


Des réformes de décentralisation ont été réalisées dans de nombreux pays du monde.


Elles obligent à enrichir les catégories analytiques classiques de la démocratie (public,


souveraineté, participation, société civile, etc.) et à élaborer des outils d’analyse plus


appropriés pour décrire et comprendre les nouvelles situations dans lesquelles les actions de


coopération et de développement s’inscrivent, de manière inévitablement intrusive.


Quelques questions, qui orientent la recherche, peuvent être signalées pour introduire le


propos : Comment les interventions des ONG, de la coopération décentralisée, des




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associations de migrants, la coopération bi et multilatérale, instrumentalisent, renforcent ou


contre-carrent le processus de décentralisation ? Quel type de collectivité territoriale est


implicitement promu par ces programmes1 ? Quel style de citoyenneté est expérimenté au


cours de leur mise en œuvre ? Et enfin, quelles attentes, éventuellement renouvelées, suscitent


ces expériences à l’endroit de l’État ? Que devient le qualificatif public dès lors qu’il ne


qualifie plus exclusivement ce qui relève de l’État ? Quelles représentations s’en fait-on, à


côté des notions de pouvoir et de politique ?


Ces questions, qui esquissent un horizon possible de recherches partagées, ne seront


évidemment pas traitées de manière exhaustive dans cet article, elles ne seront que


partiellement documentées à partir d’une étude qui porte sur l’articulation entre coopération


décentralisée et non-gouvernementale, migration et décentralisation.


D’autres contributions de cet ouvrage sont consacrées aux migrations, à la coopération


décentralisée et à la décentralisation. Cet article, quant à lui, se propose d’analyser les


pratiques de coopération du point de vue des formes de citoyenneté qu’elles font expérimenter


localement. À ce titre, il constitue une contribution à la réflexion sur « l’évolution ou la


réforme de l’État », processus au sein desquels la décentralisation joue, ou devrait jouer, un


rôle central. Dans la mesure où les travaux rassemblés dans cet ouvrage, sont autant un point


de départ de programmes de recherches futures, qu’un aboutissement d’un parcours achevé, je


me permettrai d’insister sur les aspects théoriques et conceptuels.


Décentralisation et État


Placer la question de la décentralisation sous la rubrique de l’évolution de l’État, conduit


à privilégier l’examen des relations que l’État entretient avec les populations, et à se poser au


moins deux questions.


En quoi une réforme de décentralisation est-elle à proprement parler une réforme de


l’État ? en quoi l’expérience de la décentralisation peut-elle contribuer à faire évoluer l’État ?


ces deux questions ne se confondent pas. Elles interrogent des processus décalés dans le


temps et différents, en ceci notamment qu’ils sont de sens contraire. Il faut donc les examiner


séparément.






1 Toutes les collectivités territoriales ne se ressemblent pas. Une municipalité n’est pas forcément une commune,
si on veut bien se souvenir des expériences historiques dont la notion de commune est chargée.




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La première question ne sera pas au centre de mon propos. Je ne ferai qu’apporter deux


observations :


a – les collectivités territoriales (CT) ne sont pas l’État, elles ne sont pas non plus des


regroupements de la société civile. Les logiques internes des collectivités territoriales ne sont


pas celles qui prévalent chez les acteurs associatifs de la société civile. Rendre des comptes à


ses seuls mandants, être le porte-parole de catégories sociales dominées, ne relève pas de la


même logique que celle qui doit prévaloir chez un élu d'une collectivité territoriale. Exercer


une fonction élective au niveau d'une institution publique, fut-elle décentralisée, ne se


confond pas avec une mission de représentation catégorielle, fut-elle d'intérêt collectif2.


Certains auteurs considèrent que « les pouvoirs publics locaux, tout en ayant une légitimité


politique différente de celle du pouvoir central, sont des acteurs étatiques à part entière3 ».


Certes, les pouvoirs publics locaux présentent certains traits similaires à ceux de l’État : ils ne


relèvent pas de l’adhésion volontaire comme les divers regroupements de la société civile,


mais plutôt de l’appartenance. Le citoyen ne verse pas une cotisation, mais il est soumis à


l’obligation de l’impôt, et le maire est officier de police judiciaire. Ces collectivités locales


n’appartiennent donc pas à la société civile. Par ailleurs, les dispositions légales elles-mêmes


interdisent de considérer les pouvoirs publics locaux comme une pure institution de l’État.


L’autonomie financière, la personnalité juridique et la désignation des conseils municipaux


par voix élective, traduisent l’autonomie des collectivités territoriales par rapport à l’État,


autonomie « subordonnée » certes, mais autonomie néanmoins.


La question me semble donc devoir être reformulée.


b – Ce qui est réformé, c’est la distribution des pouvoirs publics. Ce qui corrélativement,


déclenche la question de recherche déjà proposée sur le qualificatif « public ». On ne peut


plus se contenter de considérer que ce qui est public est ce qui relève de l’État. Ce


déplacement de la question permet justement de révéler certains aspects de ce qualificatif «


public » trop souvent négligés. En particulier, si le concept habermassien d’espace public en


donne à voir certaines dimensions (transparence, délibération, ouverture à l’autre, référence


au juste, etc.), en revanche cet usage n’assume pas intégralement la dimension éthique qu’on


peut lui reconnaître, et qui affleure dans le débat autour des services publics.






2 Un leader associatif, maire pressenti d’une commune rurale, ardent défenseur des intérêts des agriculteurs,
notamment des paysans pauvres, nous a fait part de ses réticences à exiger de ces familles désargentées l'impôt
qu'il sera chargé de percevoir s’il était élu.
3 De leur côté, les tenants d’une vision jacobine de l’État défendent l’idée que les décentralisations ne sont
qu’un leurre, un thème à la mode destiné à rendre acceptables les politiques de mondialisation qui se nourrissent
précisément de la disqualification des États et de la valorisation du « local ».




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La seconde question, en revanche, est au cœur de mon propos. Je dirais qu’à mon sens,


mais ce n’est qu’une hypothèse de travail, les réformes de décentralisation peuvent offrir ce


que l’on peut appeler après A. Cottereau, des « espaces politiques intermédiaires » où chacun


peut faire l’expérience d’un espace politique, possiblement congruent à un espace politique


national. Notamment en ceci que l’on y compose avec autrui, éventuellement ancien sujet,


dans une relation en principe égalitaire. C’est un espace politique qui excède les relations


d’inter-connaissance et de face-à-face quasi quotidien, qui ne reconnaît pas les hiérarchies


propres à l’espace communautaire4, et où le consensus n’est plus la règle d’énonciation des


décisions. La capacité de la collectivité à rendre légitimes, aux yeux des populations, ces


manières de faire le politique, de produire du « vivre ensemble » qui déroge tant au


fonctionnement de l’espace communautaire qu’à celui des États disqualifiés et clientélistes,


peut contribuer à faire des habitants et des citadins, des citoyens exigeants, capables et


désireux de s’approprier leur État. Autrement dit, elles peuvent constituer des sites


intermédiaires, lieux possibles de consolidation de la légitimité d’un État renouvelé.


Cette problématique requiert une approche résolument pragmatiste. L’attention est


d’abord centrée sur les manières de faire, d’agir, de dire avant de s’intéresser aux acteurs eux-


mêmes : leur identité n’est pas rigoureusement prédictive de leurs comportements ou de leurs


projets. Cette dernière affirmation demanderait évidemment à être argumentée et documentée,


et peut faire débat, mais elle ne sera pas discutée dans cet article5.


Les matériaux sur lesquels s’appuie cet article, sont issus, d’une part, d’une enquête,


menée dans le cadre du PRUD (Programme de Recherche Urbaines pour le Développement,


qui s’intitulait « Les villes : laboratoires de démocraties ? »6 et, d’autre part, d’une enquête


par entretiens (plus de cinquante)7 menés auprès des élus, agents communaux, chefs de


villages des cercles de Nioro du Sahel et de Diéma, entre septembre 2003 et février 2004, peu


avant le renouvellement des conseils municipaux au printemps 2004.


Analyser les décentralisations






4 M. Leclerc-Olive, 2003 (a).
5 M. Leclerc-Olive, 2004.
6 Recherche menée en collaboration avec Amagoin Keita et Aly Ouloguem dans le cadre du Programme de
Recherche Urbaine pour le développement (PRUD).
7 Réalisée par M. L. Meillerand et D. Fraleux.




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Évaluer la réussite de la réforme, requiert de se préoccuper au moins de trois


dimensions du processus.


a) C’est une décentralisation administrative. Pour l’évaluer, il convient notamment


d’examiner des procédures comme l’état civil, la passation des marchés publics, le respect des


textes, la tenue des sessions, l’archivage, etc. L’activité de la collectivité territoriale envisagée


consiste à administrer. La collectivité territoriale acquiert là une légitimité administrative.


b) La décentralisation est réputée favoriser le développement local. Évaluer la réforme


de ce point de vue, consiste à examiner les réalisations de la collectivité : services, santé,


éducation, électrification, services urbains payants, etc. On regardera la qualité technique des


équipements, le caractère public de l’accès à ses services, etc. L’activité ici consiste à gérer


des services. La collectivité y acquiert une légitimité instrumentale.


Un maire du cercle de Diéma déclare : « Je définirais le maire comme un agent de


développement local. Il doit s’appesantir sur ses fonctions de développement local. S’il prend


l’étiquette d’agent administratif ou d’agent de commandement, ça ne peut pas aller, puisqu’il


est issu de sa population. Il y a des pressions que l’on ne peut pas exercer sur sa population »


(les pressions en questions concernent évidemment le recouvrement des impôts).


c) Enfin, cette réforme peut aussi être évaluée sous l’angle de la démocratie locale. On


examinera alors les pratiques de la collectivité : assurer le fonctionnement du bureau et du


conseil municipal, communiquer avec les villages, les quartiers, les minorités, développer une


citoyenneté active, articuler les manières traditionnelles de décider, et celles de la collectivité,


réunir des assemblées, produire de l’accord (maintenir l’ordre social), organiser l’action (agir


ensemble), ouvrir le champ de ce que l’on considère comme des « affaires locales ».


L’activité de la collectivité territoriale est ici de gouverner (souveraineté à la fois limitée et


déléguée) une population sur un territoire. Le type de légitimité en jeu est une légitimité


proprement politique.


Par rapport à cette grille, plusieurs remarques peuvent être faites.


D’abord, il s’agit d’une grille d’analyse et non de domaines d’action séparés : la plupart


des actions ou des activités des CT est concernée par ces trois niveaux simultanément. Le


civisme fiscal en est un exemple parmi d’autres, qui montre l’intrication des trois axes


d’analyse.


Ensuite, la coopération internationale s’intéresse exclusivement (ou presque) aux


incidences de la décentralisation sur le développement local, parfois au bon fonctionnement


administratif. Or, l’observation des pratiques montre que des performances selon l’un des


axes peuvent s’accompagner de déficit sur un autre. Par exemple, réunir les impôts




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nécessaires pour accéder au financement de l’ANICT8, peut se faire en fermant les yeux sur


les pratiques de recouvrement internes au village (possiblement non conforme au rôle établi


par le régisseur), fournir les 20% du budget prévisionnel d’une réalisation co-financée par


l’ANICT peut conduire à rechercher des arrangements avec l’entreprise qui aura le chantier en


charge : dans les deux cas, le désir d’afficher des réalisations conformément aux attentes de


développement local peut se faire au détriment de la démocratie locale ou du respect des


procédures.


Enfin, l’indifférence à l’égard de la qualité de la dimension proprement politique d’un


programme de développement local, instaure un style politique « par défaut », qui renonce


aux pratiques d’assemblées, à la délibération publique, au profit de négociations rapides,


parfois discrètes – lobbying9 –, toujours dominées par des considérations techniques.


C’est le troisième axe d’observation, la manière de gouverner les choses et les gens, qui


va nous occuper ici, en prenant au sérieux l’un des objectifs de la décentralisation :


« rapprocher le pouvoir des populations », leur permettre de participer, voire de décider des


affaires qui les concernent, c’est-à-dire faire localement de chaque habitant un citoyen.


C’est à ce titre que la réforme de décentralisation pourrait être considérée comme une


réforme de l’État : ce n’est pas tant la création de nouvelles entités administratives qui est en


question (les nouvelles collectivités territoriales ne sont pas l’État), que l’expérimentation


locale d’une nouvelle citoyenneté susceptible, par transitivité10, de changer le rapport des


populations à l’État lui-même.


Mais, premier paradoxe, la réforme opère principalement un rapprochement spatial et


non socio-politique : les manières de faire le politique (élection, vote, accès à la parole, etc.)


ne se « rapprochent » pas des pratiques courantes, habituelles des habitants des zones rurales.


(cela vaut aussi pour des quartiers de nombreuses villes). « Nous allons vous confier une part


de pouvoir, mais en un certain sens, on en prive partiellement ceux qui le détenaient ». C’est


au fond ce qui pourrait se passer pour les adductions d’eau villageoises financées par les


migrants puisqu’elles deviennent, dans les textes, propriété de la commune). À ce premier


paradoxe, inhérent à l’objet lui-même, s’en ajoute un autre, lié au contexte de la réforme et au


cœur de cet article. Il consiste en effet à examiner ce programme de décentralisation visant à


rapprocher le pouvoir des populations, à la lumière des interventions extérieures, du rôle des






8 Agence nationale d’Investissement des Collectivités Territoriales.
9 Lobby veut dire couloir, antichambre en anglais.
10 M. Leclerc-Olive, 1997. La notion de transitivité désigne la qualité de ce qui se transmet d’un échelon à un
autre.




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migrants et de la coopération. Un maire d’une commune du cercle de Diéma commente ainsi


les acquis de la décentralisation : « Le premier aspect positif c’est que la population a plus


confiance en elle-même. Dans beaucoup de zones, la population a vu que quand on est


regroupé on peut faire beaucoup de choses. (…) Le deuxième aspect, c’est qu’avec ces quatre


ans, le Mali a fait beaucoup de choses ». Au moment où on invite les populations à plus


d’initiative, plus d’autonomie par rapport à l’État, ces initiatives se trouvent en fait


conditionnées par des financements extérieurs, octroyés par des acteurs à l’endroit desquels


les acteurs locaux n’ont ni recours ni sanction possibles : disons qu’il n’y a aucun élément de


« réciprocité » dans ces relations « sans retour », à la différence de celles entretenues avec


l’État, fut-il le pire d’entre eux.


Quelle expérience du politique ?


Il convient de prendre la mesure des écarts par rapport aux pratiques autochtones qu’une


telle réforme peut introduire. Par exemple, si on examine les changements dans l’accès


(potentiel) à la parole publique (prendre la parole sur la place publique, participer à la prise de


décision), on est amené à se poser les questions suivantes : a) quels sont les lignages habilités


à parler et à décider des « affaires de tous » ? b) comment désigne-t-on les détenteurs de la


parole au sein de ces lignages ? et enfin, c) les femmes ont-elles accès à l’espace politique ?


Diverses recherches d’historiens et d’anthropologues11 montrent que, lorsque ce sont des


événements strictement endogènes qui conduisent à des réformes dans les règles de prise de


décision, c’est l’ouverture, à tous les lignages, de l’accès à la parole publique qui est la


première (et souvent la seule) modification introduite. Les règles de la séniorité et d’exclusion


des femmes ne sont en général pas abolies.


La décentralisation malienne est mise en œuvre dans un environnement où l’État,


largement disqualifié, n’avait pas assuré les services attendus par les populations, et où les


problèmes rencontrés n’étaient entendus le plus souvent que par des ONG dont les logiques


d’action – notamment en matière budgétaire – sont décidées ailleurs. Ces nouvelles


collectivités territoriales sont constituées dans un contexte où l’idée même de pouvoir public


local, quelle qu’en soit la forme, n’appartient pas à l’imaginaire politique. Un certain nombre


d’espaces politiques ont été expérimentés, depuis les structures villageoises, les comités de


quartier, jusqu’aux associations et ONG. Mais les styles politiques qui y prévalent ne sont pas






11 M. Détienne, 2003 : 435.




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ceux d’une CT. Par exemple, l’action des ONG qui sont souvent financeurs et prestataires de


services simultanément, ne prépare en rien à la maîtrise d’ouvrage que la CT doit assumer.


Les nouveaux rôles inscrits dans la réforme n’ont pas été expérimentés antérieurement :


le maire n’est ni un super chef de village, ni un président d’association. Les réticences de


certains leaders associatifs à exercer ces nouvelles missions en témoignent12. Les collectivités


territoriales sont de nouveaux acteurs qui ne sont ni des regroupements volontaires, ni de


simples ramifications de l’État central. Si on s’accorde sur le fait que les collectivités


territoriales ne sont pas des acteurs de la société civile (rappelons qu’on n’« adhère » pas à la


CT dont on dépend, qu’on ne cotise pas de manière volontaire, qu’on est soumis à l’obligation


de l’impôt, que le maire est officier de police judiciaire, etc.), à quelles conditions ces


nouveaux acteurs seront-ils perçus par les populations dans toute leur spécificité ? Comment


se fera-t-il qu’ils ne seront pas considérés comme une association de plus, parmi les diverses


ONG et associations qui se consacrent au développement local13, un simple guichet


supplémentaire ?


Pour prétendre à une certaine légitimité,


1) ces nouveaux acteurs doivent se faire admettre dans le paysage des acteurs locaux


crédibles, notamment par les autorités traditionnelles;


2) ils doivent se faire reconnaître comme des acteurs spécifiques, différents des


associations classiques qui composent le paysage dans lequel ils font irruption (ceci requiert


de clarifier précisément ce qui fait leur spécificité);


3) s’ils peuvent se prévaloir, en direction des populations, de l’autorité de la loi, en tant


que pouvoirs publics locaux14, ils engagent en retour d’une certaine manière la légitimité de


l’État.


Nous verrons plus loin que ces différents « niveaux » de légitimité (être reconnu comme


acteur crédible, comme acteur spécifique, comme acteur public) sont diversement renforcés


ou affaiblis par les pratiques de coopération.


Le renouvellement des équipes municipales au printemps 2004 est, à ce titre, une étape


décisive du processus de reconnaissance de la municipalité comme institution. La formation






12 Voir note 2.
13 Les propos d’un responsable d’association malienne en France, recueillis au moment de l’installation des
collectivités territoriales sont à cet égard significatifs. Il utilisait en effet l’expression : « M. K et son
association » pour désigner l’assemblée régionale et son président.
14 Les légitimités respectives de ces deux types d’acteurs, sont interdépendantes, en ce qu’ils sont tous deux des
pouvoirs « publics ». Si bien que les pratiques des collectivités territoriales, prises entre les chefferies
traditionnelles et la coopération internationale, contribuent à façonner l’espace politique national.




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de la légitimité spécifique des pouvoirs publics locaux repose sur des épreuves de légitimité à


l’exacte intersection entre les attentes que la population nourrit à leur égard et des


compétences dont ils disposent et qu’ils exercent : chaque action de développement constitue


une telle épreuve où se consolide (ou se défait) les diverses légitimités, administrative,


instrumentale et politique de la collectivité territoriale15.


« Décentraliser » peut correspondre en fait à deux préoccupations largement différentes.


Il peut s’agir de constituer un découpage administratif du territoire national en vue d’une plus


grande efficacité en matière de développement local. Prévalent ici les critères d’ordre


économique pour concevoir les programmes et les évaluer, et s’il est fait référence à la notion


de participation, c’est en raison de la plus grande efficacité qu’elle entraîne, et non pour elle-


même. Décentraliser peut également correspondre à une volonté politique de rapprocher les


pouvoirs publics des populations et de faciliter leur participation aux processus de décision.


Prévalent alors, des critères d’ordre historique ou politique pour regrouper les populations


liées entre elles par une histoire partagée et par un capital de confiance. Il est clair que ces


deux préoccupations ne se traduisent pas par les mêmes attentes et ne s’adaptent pas


forcément au même maillage territorial. Les exemples ne manquent pas de communes qui se


sont formées sur la base d’allégeances historiques ou familiales, en dehors de toute pertinence


en matière de développement. Ces deux orientations définissent des espaces d’échanges et


d’enjeux de nature différente dont les légitimités ne se renforcent pas toujours mutuellement,


on l’a déjà souligné. En tous les cas, les maillages territoriaux ajustés à ces deux


préoccupations n’ont aucune raison de coïncider. Lorsque le maillage territorial est réglé sur


une logique de développement, l’espace d’interaction qui lui est associé, donne une place


prépondérante aux acteurs économiques émergents, aux associations professionnelles. Les


modes relationnels sont ceux qui prévalent au sein de la société civile et du secteur


économique privé : lobbying, négociation, concertation, toujours très proche de la


concurrence et des rapports de force. Le type de légitimité affiliée à cet espace repose sur une


évaluation des services rendus, ou des bénéfices privés, que l’on peut obtenir. Il s’agit d’une


légitimité purement instrumentale16.


Si la décentralisation a conduit plutôt à des formes de regroupements politiques, fussent-


ils traditionnels ou communautaires, des liens préexistent à l’existence de la collectivité


territoriale. Les membres de la CT ont une histoire partagée, et cette histoire les réunit dans






15 M. Leclerc-Olive, 2003 (b).
16 Les tenants d’une conception « réaliste » du politique, considère même que la notion de légitimité n’est pas
pertinente. Elle n’est que pure rhétorique, l’« ultime recours, la vision politique du vaincu ». Mais la justice peut-
elle ignorer les vaincus ? (Mate, 2001 : 205).




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une dynamique endogène, non exempte de conflits, bien sûr, mais possiblement génératrice de


« réciprocité », au sens évoqué plus haut.


La coopération internationale, lorsqu’elle est centrée principalement sur le


développement local, tend à faire prévaloir des manières de faire qui n’accordent qu’une


attention superficielle à la délibération et à la concertation, au profit d’une approche technique


des problèmes à traiter. Elle contribue alors à disqualifier l’espace politique émergent que la


CT est susceptible d’ouvrir, privant ainsi les populations d’une possible expérimentation d’un


espace public17 de proximité.


Démocratie locale et aide au développement : différents styles de coopération


Avant de présenter quatre exemples de pratiques de coopération, je commencerai par


donner quelques repères chiffrés sur l’aide des migrants, des ONG et de la coopération


décentralisée, et de la coopération bi et multilatérale dans les cercles du nord de la région de


Kayes.


Le volume des contributions au développement, évalué en 1996 pour le nord de la


région de Kayes (cercles de Nioro, Yélimané, Diéma et Kayes) a été estimé à environ 115


millions de francs CFA. Les transferts des migrants représentent plus de la moitié de cette


somme, et environ 10 % du PIB de la zone18. Plus précisément, ce montant est réparti comme


suit :


État malien 10 millions de F. CFA




Coopérations bi et multilatérales 30 millions de F. CFA


ONG, coopération décentralisée 15 millions de F. CFA


Transferts de migrants pour le dévept 60 millions de F. CFA


Total 115 millions de F. CFA


Volume des contributions au développement pour les cercles de Diéma, Kayes, Nioro et Yélimané, en 1996.


Venons-en à nos quatre exemples qui n’ont aucune prétention à indiquer une typologie


mais simplement à illustrer les enjeux liés aux pratiques mises en œuvre par les acteurs de la


coopération au développement.



17 La notion d’espace public est empruntée à H. Arendt et à J. Habermas.
18 J. Alvernhe, 1996.




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1) Comme le montre le tableau, la part des migrants représente plus de la moitié du


montant total. Ils sont des acteurs incontournables du développement de la région. Au-delà de


ces chiffres approximatifs, qui valent surtout pour les ordres de grandeurs relatifs, il faut noter


que ces 4 cercles fournissent près des trois-quarts de l’émigration malienne en France, mais


que les destinations sont très diverses (USA, Canada, Europe du Sud, pays africains côtiers,


voire Hong Kong, etc.). En France, mais pas seulement, les migrants sont organisés en


associations au sein desquelles ils cotisent pour financer des réalisations (puits, école,


mosquée, etc.) dans leur village ou leur zone d’origine. Lorsque la démographie le permet, ils


sont le plus souvent organisés par village. Les collectivités territoriales sont, pour l’heure,


inégalement prises en compte dans leur mode d’organisation dans le pays d’accueil. Par


exemple, les migrants du cercle de Diéma étaient dotés en France d’une association,


l’OTMCDF, fédération d’associations villageoises, (Organisation des Travailleurs Maliens du


Cercle de Diéma en France). Elle s’est transformée, il y a deux ans environ, pour devenir la


FICDF (Fédération Intercommunale du cercle de Diéma en France), mais cette orientation


soutenue par la nouvelle direction, a rencontré et rencontre encore certaines réticences, tant


est l’identité villageoise est prégnante. Les réalisations financées ou co-financées par les


associations de migrants sont jusqu’à présent strictement villageoises19 (adduction d’eau,


téléphonie, micro-barrages, etc.) . Néanmoins, l’implication des migrants dans le processus


électoral (choix des candidats, stratégies d’alliance, etc.) témoigne de l’importance qu’ils


accordent aux pouvoirs publics locaux.


Les jumelages-coopération entre les villages du nord de la région de Kayes et des villes


françaises sont le plus souvent le fruit de l’action persévérante des associations de migrants


auprès de ces villes. Les maires des cercles de Nioro et de Diéma souhaitent unanimement


bénéficier d’un jumelage lorsque leur CT n’en a pas. Ces relations qui présentent des


garanties de pérennité, à la différence des liens noués avec les ONG, partagent une


caractéristique importante avec les relations qu’entretiennent les associations de


migrants avec leur village : elles cherchent à s’inscrire dans le régime de la parenté, et


entretiennent des pratiques prolongeant le plus souvent celles de l’espace communautaire.


Certaines collectivités territoriales françaises se considèrent à présent jumelées avec


l’ensemble du territoire de la collectivité malienne, mais les relations d’amitié privilégiées


avec le village de départ continuent parfois d’orienter les actions vers celui-ci.






19 Certains services ou équipements (téléphone et adduction d’eau notamment)sont parfois gérées directement
par l’association des migrants en Europe.




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Loin de constituer un partenariat au plein sens du terme, la coopération décentralisée,


comme l’action des migrants qu’elle relaie, repose le plus souvent sur une stricte logique de


besoins. On présente à la collectivité partenaire (ville, réseau de villes, association, etc.) une


liste des besoins que l’on voudrait voir satisfaits, indépendamment de tout projet de territoire,


qui serait adossé aux dynamiques et aux ressources locales. Cette liste peut aller de la sécurité


alimentaire à la boîte de trombones, et bien sûr, surpassent toujours les moyens financiers


dont disposent la collectivité partenaire. Si bien que les programmes effectivement financés


sont le plus souvent délimités par les bailleurs eux-mêmes, au lieu d’être délibérés


localement, renforçant ainsi le caractère hétéro-normé de l’espace politique local.


2) Les programmes de coopération n’ont pas toujours le souci de légitimer les nouvelles


collectivités territoriales, non seulement en tant que nouvel acteur aux compétences et


missions spécifiques, mais même comme acteur crédible dans le paysage local. Un exemple


illustrera par défaut le premier niveau de légitimation. L’accès à l’eau potable est encore une


revendication essentielle de la zone. L’Agence Française de Développement annonce qu’elle


finance un vaste programme de réalisation d’adductions d’eau. L’enveloppe financière étant


limitée, elle procède à une étude pour établir les priorités et décider des villages bénéficiaires.


Au cours de cette enquête, les autorités municipales n’ont, dans la plupart des cas, pas été


contactées pour délibérer des priorités, alors que par ailleurs, elles ont eu à concevoir, à la


demande de l’État malien, un programme quinquennal de développement. Ces autorités ont


été rarement invitées à une rencontre d’information sur les décisions techniques. De telles


pratiques discréditent la municipalité aux yeux des populations, alors même qu’une adduction


d’eau est un équipement vital pour la collectivité. Non seulement la collectivité territoriale n’a


pas été reconnue dans sa spécificité, mais elle n’a même pas été considérée comme un acteur


crédible sur son propre territoire.


3) D’autres programmes accordent, heureusement, une crédibilité plus grande aux


collectivités territoriales (deuxième niveau), mais leurs pratiques révèlent une réelle diversité


de conceptions de ce que doit être une collectivité. Les pratiques contribuent à consolider


cette conception implicite et, partant, participent à la formation d’attentes afférentes à leur


égard. Deux exemples me permettront d’illustrer par comparaison les enjeux politiques sous-


jacents : le programme d’appui aux collectivités territoriales, formé du réseau de Centres de


Conseil aux Communes (CCC) et de l’Agence Nationale d’Investissement des Collectivités


Territoriales (ANICT), et le programme de Réduction de la Pauvreté, financé par la Banque


Africaine de Développement (BAD). Les pratiques décrites ne préjugent pas de leur




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généralité : j’ai souligné plus haut que la corrélation entre l’identité d’un acteur et ses


comportements reste faible.


Pour apporter conseil et appui aux nouvelles communes, l’État malien a mis en place un


CCC dans chacun des 49 cercles du pays. Ce programme est financé par la coopération


internationale (notamment la coopération française, l’Union européenne, la coopération


suisse, etc.). Les équipes chargées de faire fonctionner ces centres ont été sélectionnées parmi


les opérateurs déjà présents sur le terrain. Ce sont donc notamment des ONG. Les CCC, dans


leur forme actuelle, ont été installés pour trois ans actuellement prolongés de deux ans, mais il


est prévu qu’à l’issue de cette période un nouveau dispositif voie le jour. Début 2005,


plusieurs options semblent se profiler, dotées de chances de succès très inégales : un dispositif


de prestataires privés auxquelles les collectivités territoriales achèteront des services, un


dispositif confié aux services déconcentrés de l’État, et enfin un dispositif piloté par les


collectivités elles-mêmes au sein d’intercommunalités adaptées aux situations et aux besoins.


Il est obligatoire de recourir au CCC pour avoir accès au fonds pour le développement


des CT géré par l’ANICT. Cette agence accorde, suivant un certain nombre de critères rendus


publics (enclavement, population, équipement), un droit de tirage à chaque commune qui est


de l'ordre de dix millions de francs CFA par an pendant trois ans, tout au moins pour les


communes des cercles concernés par notre enquête. Pour accéder à ce fonds, il faut remplir


certaines conditions : avoir élaboré un plan triennal de développement de manière


participative (un guide décline les différentes étapes de la concertation, les modalités de la


représentation villageoise, professionnelle et associative) et avoir recouvré au moins 30% des


taxes et impôts, avancer 20% du coût de la réalisation. Les CCC et l’ANICT constituent une


sorte de service public à la disposition des communes. Quelques maires rechignent à se plier


aux conditions requises pour accéder à ces droits de tirage, notamment à cause des


recommandations visant la participation des populations à la définition de la politique


municipale et préfèrent se tourner vers d’autres sources de financement, que peuvent offrir les


ONG présentes dans la zone. Il est arrivé que certaines collectivités, à l’inverse, organisent


des forums au sein desquels les populations font l’expérience de ce qu’est un espace public de


délibération : rassemblant tous les acteurs concernés (chefs de villages, représentants de


l’administration, responsables d’associations, etc.), ces espaces politiques ont permis de


confronter les demandes de chacun, de débattre sur ce qu’il est juste de faire en priorité, et de


définir un programme de développement communal consensuel. Ces initiatives ont en général




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renforcé les liens de « réciprocité » entre les villages (notamment les villages peuhls ou


maures, souvent délaissés) et la collectivité territoriale20.


4) À côté de ce dispositif national, un Programme de Réduction de la Pauvreté (PRP) a


choisi les deux cercles de Nioro du Sahel et de Diéma (parmi les 6 cercles retenus au Mali),


comme bénéficiaires de ces allocations de ressources. Des indicateurs économiques ont


permis de sélectionner les villages pauvres et, partant, des communes et des cercles pauvres.


Dans les cercles de Nioro et Diéma une partie des villages d’une partie des communes devait


bénéficier de ces financements qui dépassent dans certains cas les droits de tirage ANICT. La


nature des actions financées a été décidée indépendamment des bénéficiaires et sans


concertation avec les autorités municipales. Évidemment ce programme comme beaucoup de


programmes de coopération est à durée déterminée (cinq ans dont deux années voire trois de


mise en route). Les villages de certains territoires communaux, ont engagé des démarches


individuelles pour obtenir (finalement avec succès) du PRP de figurer parmi les bénéficiaires.


Ces démarches se sont déroulées de manière discrète, sans que les préférences exprimées


soient confrontées aux préférences des autres comme dans le cas des forums évoqués plus


haut, où l’argumentation publique permet ou oblige à la révision de ses propres préférences.


Lobbying, négociation discrète, ne participent pas de la formation d’un espace public de


proximité, mais entretiennent cet espace politique « par défaut » mentionné plus haut.


Les pratiques mises en œuvre par ces différents programmes ont tous contribué


différemment à la formation de la légitimité des collectivités. D’un côté, certains CCC, certes


financés par la coopération internationale et mis en œuvre par des ONG, mais inséré dans un


dispositif national, contribuent parfois à développer une légitimité publique, un esprit public


qui reconnaît à la municipalité son rôle d’animateur de la démocratie locale (programme


participatif, etc.), consolidant ainsi leur légitimité proprement politique. De l’autre, le


Programme de Réduction de la Pauvreté qui, tout en prétendant être soucieux de la


concertation et de la participation, n’a pas eu, dans sa pratique même, le souci d’intégrer à la


démarche les collectivités territoriales, réduisant ainsi leur légitimité à sa dimension


instrumentale, et aux pratiques politiques « par défaut » qui lui sont associées.


Ce programme de réduction de la pauvreté, à la différence de celui de l’Agence


Française de Développement, reconnaît les collectivités comme des acteurs crédibles, sans






20 M. Leclerc-Olive, 2003 (b).




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pour autant favoriser a priori la reconnaissance de leur spécificité comme animateur de la


démocratie locale, alors même que, nous l’avons dit, ces communes se sont constituées sur la


base d’une histoire partagée plutôt que sur une rationalité de développement. Le choix des


priorités (les villages cibles) s’est fait de manière « rationnelle », sans concertation avec les


populations. De plus, on ne voit pas comment l’éventuelle légitimité accordée aux


collectivités territoriales grâce à ce programme présentera la moindre transitivité avec d’autres


communes : le niveau de pauvreté des communes voisines n’est guère différent, bien qu’elles


n’aient pas accès à ce programme. Ce qui ne manquera pas de susciter des interrogations sur


le caractère arbitraire des décisions, dans la mesure où les collectivités sont en position de


concurrence. Aucune transitivité non plus en direction de l’État : rien dans ce dispositif ne


vient renforcer les relations de « réciprocité » entre celui-ci et les populations. Aucun bénéfice


donc au niveau de la légitimité globale des pouvoirs publics. Si l’État est à l’horizon, c’est


tout au plus comme acteur ayant facilité l’octroi de l’aide, dans une logique encore une fois


purement instrumentale.


Légitimité instrumentale ou légitimité politique?


La légitimité politique des collectivités territoriales est révélée par leur capacité à


constituer autour d’elles un espace public de proximité, un espace de délibération où puisse se


former un jugement politique dûment informé du point de vue d’autrui. Orienter les


jugements sur les seuls résultats matériels au détriment des jugements sur les manières de


faire et les procédures, dans un contexte de ressources propres souvent limitées, ne peut


qu’affaiblir les relations de « réciprocité » entre gouvernants et gouvernés et entre ces derniers


(réciprocité horizontale et verticale).


Les espaces publics de proximité apparaissent comme des lieux possibles d’action, de


critique et de contrôle – c’est-à-dire de participation et de « réciprocité » – de nature à former


et consolider la légitimité politique des pouvoirs publics locaux qui en constituent le noyau


institutionnel. Cette légitimité réside précisément dans la capacité à ouvrir et faire vivre ces


espaces de délibération et de concertation entre différents types d'acteurs (économiques,


administratifs, professionnels, sociaux, politiques, etc.), c'est-à-dire dans la capacité à


permettre que s'articulent des appartenances radicalement différentes (villageoises,


économiques, religieuses, politiques, etc.). Aux procédures de négociation, de lobbying, de


plaidoyer – qui constituent les manières de faire, préconisées par les théories de la société




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civile – qui confèrent aux collectivités une légitimité purement instrumentale, se substituent


ici les procédures de délibération des espaces de concertation.


Certaines actions de coopération internationale orientent le jugement sur cette seule


légitimité instrumentale. En créant parfois des attentes qui ne peuvent être satisfaites (les


listes de besoins peuvent être illimitées), ces interventions peuvent affaiblir, notamment par la


prééminence du discours technique, la légitimité proprement politique des collectivités


territoriales, en tant que lieu possible d’assemblées et de délibération publique. Elles prennent


alors le risque que la collectivité renonce à devenir une véritable commune, susceptible de


renouveler les relations entre les citoyens et leur État. L’absence totale de réciprocité possible


avec ces acteurs exogènes, que sont les acteurs de la coopération internationale – aucune


sanction possible de la part des « bénéficiaires » sur les donateurs, imprévisibilité et


inaccessibilité de leurs politiques : ils ne participent pas au même espace public politique –


compromet la possibilité même d’une délibération dûment informée : le champ des actions


possibles est indéterminé, sans horizon temporel maîtrisé. L’autonomie et l’initiative des


collectivités territoriales n’y trouvent pas de socle ferme pour se développer, et leur éventuelle


contribution à la formation d’une citoyenneté exigeante s’en trouve compromise .




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Bibliographie


Alvernhe J., 1996, Région de Kayes, les 4 cercles nord (Kayes, Nioro, Yélimané, Diéma).


Diagnostic économique et axes de développement. Étude réalisée pour le programme


Développement local et migration du ministère de la coopération, Paris.


Détienne M., (dir) 2003, Qui veut prendre la parole ?, Seuil.


Maté R., 2001, Penser en espagnol, PUF.


M. Leclerc-Olive, 2004, « Les effets d’un programme de développement urbain sur l’arène


politique locale » dans Économies et sociétés.


M. Leclerc-Olive, 2003 (a), « Arènes sahéliennes : communautaires, civiles ou publiques ? »


dans D. Cefaï et D. Pasquier (dir), dans Cefaï Daniel, Pasquier Dominique (dir.), Les Sens du


public. Publics politiques, publics médiatiques, Paris, Presses Universitaires de France.


M. Leclerc-Olive, 2003 (b), « Les nouvelles collectivités territoriales, entre aide internationale


et pouvoirs locaux: légitimité instrumentale ou légitimité politique ? » dans Y. Lebeau, B.


Niane, A. Piriou, M. de Saint Martin, (édits), État et acteurs émergents en Afrique, Karthala.


M. Leclerc-Olive, 1997, « Espaces métis et légitimité de l’État : l’expérience malienne », dans


GEMDEV, Les avatars de l’État en Afrique, Karthala.